La périphérie et le cœur

Une première réponse possible pourrait être que le problème ovni n'est pas étudié parce qu'il n'est pas étudiable, scientifiquement s'entend. L'"objet volant non identifié" allégué n'est-il pas insaisissable et non reproductible ? Certes oui, mais ce n'est pas cet ovni-là qui constitue la matière première sur laquelle la méthode scientifique peut s'exercer. Le "phénomène ovni" qui peut être objet de science consiste, au départ, en l'existence de personnes qui déclarent avoir observé, dans le ciel ou près du sol, une source de lumière ou un objet aux caractéristiques lumineuses, sonores, cinématiques ou structurelles qu'elles n'ont pas su interpréter étant donné leur caractère insolite. En conséquence, cet "objet" a été désigné sous le nom d'ovni par elles-mêmes ou par les personnes ayant recueilli leur récit. Ces observations alléguées sont, elles, aisément étudiables par les méthodes habituelles de l'enquête sur le terrain et de l'étude historique des documents.

Les observations ainsi imputées à des "ovnis", encore que nombre de témoins n'utilisent pas eux-mêmes ce terme, sont très hétérogènes. Des études menées indépendamment sur des échantillons recueillis à différentes périodes et dans différents pays ont montré que les rapports proviennent dans leur majorité d'observations de la Lune, des planètes, de météores, de rentrées atmosphériques d'objets satellisés, d'aéronefs, de véhicules terrestres, etc., ou ne présentent aucune caractéristique permettant de les en distinguer. Ces observations contribuent à entretenir le phénomène social tel qu'il s'exprime dans les media et peuvent être influencées par lui. Cette constatation conduit naturellement à l'hypothèse que tous les rapports pourraient être engendrés de cette façon par méprise et exagération, surtout si on y ajoute l'inévitable frange de mensonges et de perceptions faussées par les pathologies mentales, la prise de médicaments ou autres, sans compter l'altération des récits originaux par des journalistes ou des enquêteurs peu rigoureux.

L'idée que le phénomène ovni relèverait uniquement de ces mécanismes, renforcés par la formation d'un "stéréotype ovni" dont la large diffusion médiatique influencerait les récits en retour, est évidemment séduisante s1Monnerie, M.: Et si les OVNIs n'existaient pas ? Les Humanoïdes Associés, 1977 s2Pinvidic, T. (éd): OVNI, vers une anthropologie d'un mythe contemporain, Heimdal, 1993. Cependant l'objectivité oblige à reconnaître que cette hypothèse, quelque fructueuse et instructive qu'elle soit, rencontre des limites. En effet certaines enquêtes sur le terrain, celles conduites et publiées par le GEPAN entre 1977 à 1982, par exemple, enquêtes qui s'approchent le plus de ce qu'on peut qualifier d'analyse scientifique sur le terrain (bien qu'elles eussent été largement perfectibles) ont montré que certaines observations font objectivement problème. Lors de ces enquêtes l'audition des observateurs, les reconstitutions in situ, des tests variés et parfois l'examen d'effets rémanents attribués au phénomène perçu, fournissent de nombreuses données. Toutes ces informations peuvent être soumises à des analyses serrées, recoupées entre elles et conduire à des reconstitutions quantitatives des événements allégués susceptibles de révéler leur cohérence ou leur incohérence. L'expérience montre que des reconstitutions cohérentes et détaillées de certaines observations ont été obtenues. Qu'est-ce à dire ? Qu'on ne peut pas les expliquer ? Pas exactement, car on peut, en jouant sur les marges d'incertitude et en utilisant des hypothèses ad hoc, expliquer toute observation que l'on voudra. Cela veut dire simplement qu'aucune explication conventionnelle ne peut être validée : par exemple on pourrait songer à un hélicoptère (à condition d'omettre la plupart des détails descriptifs) mais aucun hélicoptère n'était en vol dans le secteur suivant les autorités civiles et militaires, ou bien une affabulation du témoin mais rien ni dans ses déclarations, son comportement, son passé ni dans les recoupements effectués ne permettent d'asseoir cette idée. En bref, la "réduction du cas" ne peut être obtenue qu'en contredisant explicitement des éléments du dossier bien établis par ailleurs de sorte qu'on ne peut pas démontrer clairement la méprise, l'exagération ou l'affabulation. Ceci constitue-t-il une preuve de l'existence d'un phénomène physique original à l'origine de cette observation ? Non, car la conclusion demeure négative : on a pu négliger un fait éclairant ou un facteur important, et c'est sur cet échec répété à conclure de manière positive et convaincante à l'existence d'un tel phénomène que se fonde toute la polémique sur les ovnis depuis 50 ans.

Parvenu en ce point on voit que le "phénomène ovni" global, phénomène essentiellement social, peut s'analyser schématiquement en au moins 2 ensembles d'observations, l'un dont les causes sont connues (méprises certaines ou probables, etc.) et l'autre dont les causes après examen minutieux restent à déterminer. Ils forment respectivement la périphérie et le cœur du problème, avec tous les intermédiaires possibles. C'est une première indication qui invite à poursuivre. Dans la suite de ce texte, je m'en tiendrai à l'essentiel c'est-à-dire au cœur.