Les débris d'un mystère

Catherine, Vincent: Le Monde,

3 jours auront suffi pour donner une explication à un phénomène étrange apparu dans le ciel d'Europe

Le mystère n'aura duré que 3 jours. Vendredi 9 novembre, les phénomènes lumineux observés le 5 novembre dans le ciel de France étaient identifiés. Ainsi que le confirmait un communiqué du Centre national d'études spatiales (CNES), ils provenaient de la désintégration du troisième étage d'une fusée soviétique, lancée le 3 octobre dernier pour mettre en orbite un satellite de télécommunications, Gorizont-21. Après 5 semaines de voyage orbital, les débris de la fusée en combustion ont pénétré les couches denses de l'atmosphère, le 5 novembre à en (heure française), selon une trajectoire allant de Pau à Strasbourg.

3 jours durant lesquels, pourtant, tous les rêves furent permis. Les conditions météorologiques, particulièrement nettes ce soir-là au-dessus de l'Europe de l'Ouest, avaient permis à des milliers de témoins, simples passants ou professionnels de l'aviation, d'observer le phénomène (le Monde du 8 novembre). Les témoignages, dans un premier temps, sont contradictoires : 3 boules, orange, jaune et verte, disposées en triangle, Un objet très lumineux en forme de Y, qui se déplaçait sans bruit, Une soucoupe volante en losange. Mais, très vite, le portrait-robot de l'objet volant non identifié (ovni) se précise. De Bischwiller (Bas-Rhin) à l'aéroport de La Rochelle (Charente-Maritime), des Landes aux Ardennes, ainsi qu'en Allemagne, en Belgique, en Grande-Bretagne et en Italie, la plupart des observations s'accordent à décrire des points lumineux rouge orangé se déplaçant simultanément, en forme de triangle ou de trapèze, suivis d'une tache plus brillante de couleur blanche.

L'affaire, cette fois, est immédiatement prise au sérieux par les spécialistes. Infiniment plus qu'au printemps dernier, durant lequel les avions de chasse belges décollèrent à plusieurs reprises pour traquer de mystérieux engins survolant le ciel de Bruxelles (Le Monde du 9 mai). Depuis le 5 novembre, nous avons recueilli sur les trois-quarts du territoire français des milliers de témoignages concordants, dont l'un émane d'un cosmonaute français, d'autres d'une vingtaine de pilotes civils et militaires, d'autres encore de clubs d'astronomes amateurs. Un cas exceptionnel qui exclut totalement l'hypothèse d'une hallucination collective, soulignait dès le 7 novembre M. Jean-Jacques Velasco, directeur à Toulouse du service d'expertise des phénomènes de rentrée atmosphérique (SEPRA) du CNES.

Un ovni, donc, mais encore ? Pour le SEPRA, l'enquête ne fait alors que commencer. 24 h à peine après l'apparition lumineuse, ses responsables appelaient les témoins à leur fournir toutes les précisions sur leurs observations, par l'intermédiaire de la gendarmerie et de la police nationales, des services de météorologie ou de l'aviation civile et militaire. Quelques jours plus tard, le service d'expertise croulait sous les appels. Un mal nécessaire, puisque seule la multiplication des témoignages aurait permis, si le phénomène n'avait été élucidé dans les jours suivants, d'évaluer très précisément l'altitude et les caractéristiques de trajectoire de l'ovni observé.

Dès les premiers jours, et tout en n'excluant aucune hypothèse, les chercheurs du SEPRA avaient quasiment éliminé celle de la pierre tombée du ciel. Les points de lumière ont été observés plusieurs minutes d'affilée, alors que la rentrée d'un corps céleste dans l'atmosphère n'excède jamais quelques dizaines de secondes, objectait déjà M. Velasco. De plus, les données recueillies donnent une idée de l'envergure et de la trajectoire approximative de l'objet. S'il s'agissait d'un météore, il serait de grande taille et serait très probablement tombé sur le sol, non dans la mer. Or aucun impact important n'a été signalé depuis le 5 novembre....

Aucun écho sur les radars

Restait donc l'hypothèse d'un objet artificiel, débris de satellite ou de fusée. Depuis le lancement, le 4 octobre 1957, du premier satellite artificiel de la Terre, Spoutnik-1, plus de 3500 engins spatiaux ont été volontairement envoyés dans l'espace. Soit des millions d'objets divers mis en orbite dans la même période, le lancement d'un engin spatial s'accompagnant obligatoirement de la satellisation non désirée de tout un tas de débris, boulons, éléments de protection ou restes d'étages de fusée en désagrégation. Selon l'hebdomadaire britannique New Scientist (1), 3,5 millions de débris d'une taille supérieure à 10 cm seraient ainsi, actuellement, en orbite autour de la Terre, la plupart provenant d'engins spatiaux soviétiques et américains.

Du fait de leur faible altitude (moins de 300 km pour les orbites basses), la plupart des débris satellisés finissent par se consumer dans les couches denses de l'atmosphère, le plus souvent sans que les Terriens s'en aperçoivent. Il suffit cependant qu'un débris de grande taille entre dans l'atmosphère avec une vitesse et un angle d'incidence importants pour que sa combustion devienne visible, à condition, bien sûr, que l'événement survienne de nuit et au-dessus d'un continent.

C'est précisémment ce qui s'est produit dans la soirée du 5 novembre. Encore fallait-il pouvoir le confirmer au terme d'une enquête rigoureuse. Encore fallait-il, également, ne pas se laisser impressionner par un détail apparemment déroutant : observé par des milliers de témoins, le 3ème étage en combustion de la fusée soviétique n'a fourni aucun écho aux radars civils et militaires. Ce qui signifie simplement que l'objet est passé plus haut ou plus bas que la zone d'altitude détectée par les faisceaux radar, soulignait dès le lendemain M. Velasco, avec une logique toute scientifique. Familiers de l'étrange depuis plus de 13 ans (voir encadré), les responsables du SEPRA prirent contact, dès les premiers témoignages, avec la NASA.

Très vite, celle-ci évoqua la piste de la fusée soviétique, dont le 3ème étage se trouvait jusqu'alors en orbite d'attente. Quelques jours encore, et le centre de calcul du CNES de Toulouse vérifiait que la rentrée dans l'atmosphère de ces morceaux de fusée coïncidait exactement avec les horaires et la trajectoire du phénomène observé.

Le mystère de l'ovni disparaissait. Reste une enquête exemplaire et rondement menée, un peu de déception, et le souvenir de 3 jours durant lesquels tout, ou presque, fut possible.