Jacques Bergier

Bergier
Bergier

Bergier naît le jeudi 8 août 1912 à Odessa (Russie). Issu d'une famille juive pittoresque, père épicier en gros, grand-père maternel rabbin miraculeux, cousin Anatole régicide, tante "quel malheur", oncle Asraël (l'ange de la mort), un autre contrebandier et passeur. C'est un enfant surdoué qui se signale très tôt par une capacité de lecture impressionnante : premier journal à 2 ans ; à 4 ans il lit couramment le russe, le français et l'hébreu. Il ne va pas à l'école mais dispose de professeurs particuliers.

Exode

En 1920, la Russie connaît la guerre civile, rythmée par les batailles entre Blancs, Rouges et Verts (anarchistes et paysans), et à l'automne la famille décide d'émigrer vers la France.

La 1ère étape est toutefois Krzemeiniec (Pologne) petite ville où vit la branche maternelle de la famille. Bergier y étudie dans les livres et reçevant une instruction religieuse d'un rabbin, dont il gardera une fascination pour la Cabale, ses mystères et ses légendes. Il apprend aussi les mathématiques, la physique, l'anglais, l'allemand. Il lit de façon vorace, d'abord la presse puis tout ce qui lui tombe sous la main. La bibliothèque locale contient des collections complètes de revues de science-fiction russes et étrangères dont il se délecte (sauf durant la parenthèse concentrationnaire, il lira de 4 à 10 livres par jours tout au long de sa vie).

En 1925, les affaires familiales périclitent et l'émigration vers la France est décidée.

Paris

Bergier et sa famille s'installent à Paris (France) en 1925. De l'année suivante à 1927, Bergier fréquente l'école communale de Boulogne-sur-Seine où il passe le certificat d'études primaires et fait une année de préparation au brevet élémentaire. En l'année suivante il entre au Lycée Saint-Louis où il organise des canulars mémorables tout en étant un élève frondeur et intelligent. Il passe les baccalauréats section sciences et philo en 1930 et réussit le concours d'entrée à l'Institut de Chimie. Il s'inscrit en même temps à la Sorbonne pour divers certificats de mathématique et de chimie. Les grandes écoles, Normale, Polytechnique, Centrale, lui sont interdites, car ces parcours exige des préparations coûteuses, sa famille connait toujours des difficultés financières, les bourses sont pratiquement inexistantes, et il avoue lui-même que ses "faiblesses" en mathématiques lui interdisent cette voie royale. Voilà pourquoi il envisage l'Institut de Chimie.

Il peut alimenter sa boulimie de lecture en découvrant les collections des revues américaines Argosy et All Story (stock ayant appartenu à l'American Legion) à la librairie Joseph-Gibert. Il peut y lire les plus grands noms du fantastique et de la SF américaines. Il entretient une correspondance de 10 ans avec H. P. Lovecraft, jusqu'à la mort de ce dernier. Il fréquente aussi assidûment les quais et les bibliothèques publiques. Grâce à quelques travaux de traductions et des leçons, il peut assumer une partie de ses frais d'études et s'acheter quelques livres neufs. Fin 1933, il quitte l'Institut de chimie où il n'a pas réussi à obtenir de diplôme, ainsi que la Sorbonne, pour ne plus refaire d'études. De 1933 à 1936, il exerce différents petits métiers (traducteur, analyste, fabricant de colle).

Vie active

En 1936, son ami Alfred Eskenazi, ingénieur chimiste, finance la mise sur pied d'un laboratoire. En association avec le physicien Vladimir Gavreau ils travaillent d'abord sur des produits pour le tissage de la soie et de la rayonne, ainsi que sur les premières méthodes d'automation des procédés industriels. Parallèlement, Bergier s'intègre à l'équipe de chimie-physique d'Hellbronner pour des travaux de physique nucléaire. Il découvre l'utilisation de l'eau lourde pour le freinage des neutrons et réalise la première synthèse d'un élément radioactif naturel, le polonium. Bergier vit à cette époque un bouillonnement créatif intense, et il rêve de fonder un véritable empire industriel de l'atome par l'exploitation des brevets qu'il prend sur un certain nombre de découvertes. Ces laboratoires fonctionneront jusqu'à la débâcle en 1940.

Depuis plusieurs années, Bergier s'est aussi investi dans la lutte anti-nazis. En 1935, avec le soutien du parti communiste allemand, il distribue des tracs à la sortie des cinémas et des théâtres lors de voyages d'affaire en Allemagne. Il transmettait également des rapports sur l'utilisation de l'énergie atomique aux gouvernements américains et français, ce qui l'engagera progressivement au sein des services secrets alliés. En 1940, il choisit la lutte sur le terrain de la France. Il se rend d'abord à Toulouse, puis à Lyon où il restera de septembre 1940 à novembre 1943, date de son arrestation par la Gestapo.

Ses activités de résistant sont multiples. Il met en place des laboratoires clandestins pour la fabrication de bombes explosives et incendiaires, d'émetteurs radio, de dispositifs d'écoute téléphonique, de fausses monnaies et faux papiers. Il organise des actions comme l'intimidation de collaborateurs par l'envoi d'oreilles coupées, des attentats à la bombe, etc. Début 1942, il réalisera et fera éditer à Londres un manuel du parfait saboteur , traduit en 38 langues. Il est aussi le rédacteur du journal Le soldat allemand en Méditerranée, feuille clandestine en allemand servant à démoraliser l'ennemi. Il organise des réseaux de résistants et d'espions, c'est ainsi qu'il devient l'un des dirigeants du réseau Marco Polo, et qu'il parvient à obtenir la localisation de la base secrète de construction de V-2 de Pennemünde, qui sera finalement bombardée par l'armée alliée. Il est arrêté à Lyon le par la Gestapo et soumis à la question.

"Aucune torture n'a pu avoir raison de cet homme de fer", dira Julius Mader, historien allemand.

Les camps

En mars 1944 il est envoyé au camp de Neue Bremme (Sarre), section "retour indésirable", où il reste 3 semaines. Contre toute logique, il survit aux tortures que ses tortionnaires lui font subir. Il connaît plusieurs fois le coma et usera de stratagèmes mentaux afin de supporter les sévices. Il sera envoyé au camp de Mauthausen le et y restera jusqu'à la chute du camp le samedi 5 mai 1945. Là, il rejoint et dirige l'organisation clandestine de résistance. Il organise l'insurrection de la nuit du vendredi 2 février 1945 à samedi 3 février 1945. Après la chute du camp, il poursuivra et abattra personnellement le chef Ziereis. Il quitte Mauthausen le mercredi 19 mai 1954 après avoir accompli divers devoirs de mémoire.

C'est un mort-vivant (36 kg) qui finalement rentre en France et réintègre la vie civile (il regrettera ce choix, jugeant bien vite qu'il aurait eu plus d'avenir en URSS). Il reçoit les plus hautes distinctions militaires des russes, des anglais, des américains et des français. Les russes lui consacrent un film L'homme qui arrêta la foudre (autre titre Et l'Angleterre sera détruite), qui glorifie son action d'espionnage dans l'affaire de la destruction de la base de Pennemünde. Estimant qu'il va mourir s'il prend du repos, il continue ses activités. Dans les premiers temps, il s'occupe d'organiser la DGER, de la poursuite des criminels de guerre (Nuremberg de novembre 1945 à octobre 1956), d'espionnage et de contre-espionnage, de la recherche de secrets militaires. Il demande à de Gaule de créer le Commissariat à l'Energie Atomique.

Il dit avoir ramené deux pouvoirs paranormaux de Mauthausen. Le premier dont il se débarrassera rapidement est de pouvoir deviner de quoi les gens ont faim. Le second est de savoir avec certitude quand il est suivi (ce qu'il aura l'occasion de faire vérifier plus d'une fois).

Jacques Bergier
Jacques Bergier

Selon ses propres termes, il connaît la pauvreté, le chagrin et l'exil. La pauvreté, car ses rêves de grandeur sont anéantis. Le chagrin d'avoir perdu tant d'amis dans la bataille. Enfin l'exil, car il se sentira toujours comme un exilé en France.

En 1947, il fonde la société Recherche et Industrie, groupe d'ingénieurs conseils. Il effectuera notamment une mission en Inde et aux Etats-Unis dans le cadre d'un projet de fabrication par l'Inde d'essence synthétique. Aux Etats-Unis, il en profite pour voir où en est la littérature de science-fiction. Il fonde aussi l'association des écrivains scientifiques en France.

En 1953, il se reconvertit dans le journalisme. Il entre à Constellation, journal où le sérieux passe loin après la quête du sensationnel. Entre autres canulars, il inventa les aventures de l'Abbé Mélisse, dont les mémoires ont été "sérieusement" publiées et traduites en 17 langues par la suite.

Aparté alchimique

Jacques Bergier est également connu pour ses positions sur l'alchimie. Il s'y intéresse pour la première fois en 1938 quand Hellbronner l'emmène dans une usine à gaz de la région parisienne, où ils rencontrent Fulcanelli, l'auteur des deux célèbres livres Le mystère des cathédrales et Les demeures philosophales. Ils discuteront des dangers pour l'humanité de la recherche atomique. Après la guerre, Bergier aurait réalisé des expériences alchimiques, comme la synthèse d'argent et d'or en petites quantités, ainsi que du béryllium. Il reçoit d'un alchimiste allemand quelques onces de "poudre de projection", qui selon ses dires ont fonctionné parfaitement. Cette facette du personnage reste parmi les plus mystérieuses. Il portait cependant l'alchimie en haute estime.

Pauwels

Bergier à Paris
Bergier à Paris

Dans le milieu des années 1950s, Bergier rencontre Louis Pauwels. Les 2 hommes n'ont rien en commun. Pauwels est un littéraire alors que Bergier méprise ce qui ne relève pas de la méthode scientifique. Néanmoins, une grande amitié naît entre eux, ce qui conduira à la rédaction du fameux Matin des Magiciens s1Bergier, J. & Pauwels, Louis: Le Matin des Magiciens, Gallimard / NRF, 1960 en 1960. Ce pavé du "réalisme fantastique" connaît un succès phénoménal et Bergier devient rapidement très célèbre. Les faits cités dans ce livre sont issus pour l'essentiel de ses dossiers personnels qu'il distillait lors de discussions avec Pauwels, lequel se chargeait le lendemain de rédiger le manuscrit. Dans la foulée, Pauwels et Bergier lancent la revue Planète afin de combler l'attente des milliers de lecteurs. La revue connaît un véritable succès et devient un phénomène de société. L'aventure durera 8 ans, 41 numéros de 200 pages, des centaines d'articles, une tentative de reconduction avec 25 Nouveau Planète, mais aussi une production d'ouvrages annexes fort intéressants, comme les Encyclopédie Planète, les Anthologie Planète, les Présence Planète, les Métamorphoses de l'Humanité, les Planète Histoire, les Trésors spirituels de l'humanité et autres productions de qualité.

Bergier alimentera ce mouvement d'articles et de préfaces sur l'alchimie, les recherches parapsychologiques, les armes secrètes, l'archéologie mystérieuse, l'espionnage, "l'histoire invisible", ...

Cette aventure se termine au début des années 1970s. Les événements de mai 1968 ont profondément divisé la rédaction. En désaccord avec la nouvelle politique éditoriale, Bergier quitte la direction. Il publie néanmoins L'homme éternel, premier volet d'une suite au Matin des Magiciens prévue initialement en 5 actes. Ce livre n'ayant pas le succès escompté, Pauwels abandonne le projet et ce sera la brouille entre les deux auteurs. Bergier écrira alors seul ses propres livres dans la continuité du réalisme fantastique, livres qui s'ajouteront à ses œuvres diverses et variées sur l'espionnage, la chimie,... (voir bibliographie).

Aparté Science-fiction

Bergier s'est beaucoup intéressé la littérature de science-fiction, la seule d'ailleurs, avec une certaine poésie, qu'il ne méprisât point. Déjà à Krzemeiniec il découvre la SF russe et étrangère dans les collections de la bibliothèque, puis à Paris dans les années 1930s, grâce aux "pulps" américains achetés d'occasion. Il sera un fan de H. P. Lovecraft avec qui il entretiendra une correspondance jusqu'à sa mort en 1937, et contribuera à le faire connaître en France (préface à la traduction française du recueil Démons et Merveilles, aux éditions des Deux Rives en 1955). Pour lui, la S.-F. n'est pas seulement un loisir, mais une manière de penser et de comprendre le monde, une préfiguration de ce qui attend l'humanité.

Qui était Jacques Bergier ? Celui qui disait que mai 1968 était une démonstration de l'Interterror visant à montrer que l'on peut détruire un pays de l'intérieur, ou, visant plus directement les participants, "la révolte des imbéciles contre l'intelligence" ? Celui qui comme Charles Hoy Fort collectait et accumulait (dans des dossiers secrets et avec sa mémoire comme boîte à fiches) les faits étranges, maudits, paranormaux ? Mais, rebelle aux histoires de soucoupes-volantes, qui disait aussi avec son humour pervers" les ovnis sont des hallucinations collectives provoquées par des extraterrestres" ? L'espion scientifique, le conseiller militaire? Le scientifique, découvreur, membre de l'académie des sciences de N.Y., dépositaire de brevets,... et alchimiste à ses heures ?

Bergier meurt le jeudi 23 novembre 1978. Aimé Michel dira en mourant, c'est la première fois qu'il fait de la peine s2Question de n°28.

Auteur de :

s3Bergier, J.: Je ne suis pas une légende, 1970

Références :