Introduction à l'ufologie à l'usage du néophyte

Qu'est-ce que l'ufologie ?

L'ufologie est l'étude des ovnis (de "UFO" : Unidentified Flying Object ou objet volant non identifié). Que cela signifie-t-il ? Pas grand chose, tant que l'on ne saura pas ce que sont les ovnis. Autant parler alors d'"étude de l'inconnu", de l'inexpliqué, ce qui, à tout prendre, est le but de la science en général. Cependant, au contraire de celle-ci, l'ufologie souffre de nombreux handicaps : elle s'intéresse à un phénomène non reproductible à volonté, se base en grande partie sur des témoignages, n'a pas de méthodologie très développée, reste peu organisée, et enfin étudie un sujet controversé, souvent raillé, parfois sulfureux, On ne sait au juste ce qu'est un "ufologue", si ce n'est une personne ayant acquis une certaine expérience dans l'étude des ovnis (il n'y a pas de diplôme en la matière). Un ufologue peut être un scientifique passionné par ce hobby les week-ends, comme un jeune facilement influençable et friand de théories complotistes, ou un véritable enquêteur rigoureux. Une faune hétéroclite donc, mais pourtant captivée un mystère commun.

Plonger dans l'ufologie

Des responsables de l'US Air Force présentant le projet Blue Book d'étude des ovnis dans les années 1950s
Des responsables de l'US Air Force présentant le projet Blue Book d'étude des ovnis dans les années 1950s

Entrer dans un domaine aussi en marge que l'ufologie se fait souvent par un choc. Le choc du décalage entre la réalité d'un phénomène et la manière dont la société le gère. Comme toute chose, l'ufologie est un iceberg. Découvrir l'ufologie, c'est passer d'une partie émergée où une poignée d'hurluberlus racontent avoir vu une "soucoupe volante", à un microcosme immergé où des milliers de spécialistes travaillent sur des dizaines de milliers d'observations, remontant aussi loin dans l'histoire que l'on puisse imaginer. Un monde où des observations inexpliquées sont faites tous les jours, dans le monde entier, confirmées par radar, laissant des traces, où les armées s'inquiètent légitimement et officiellement du phénomène, où des pays mettent en place des organismes dédiés à leur étude, font des rapports officiels, où la majorité des témoins sont sincères, indépendants, pilotes ou agents de police et fuient toute publicité. Ce monde-là est tout aussi réel, mais bien méconnu. La première chose que l'on découvre du phénomène, c'est donc qu'il est bien réel, et pris au sérieux par nombre de gens tout aussi sérieux. Mais si considérer un phénomène comme sérieux et réel est une chose, l'expliquer en est une autre.

En effet, la deuxième chose que l'on apprend, c'est que l'explication extraterrestre, si elle largement représentée, n'est pas la seule proposée par les ufologues. On y avance aussi des thèses spatio-temporelle (des terriens venant du futur typiquement), paranormales (reliant le phénomène des ovnis à d'autres phénomènes paranormaux déjà signalés), ou simplement que le phénomène n'a rien d'extraordinaire, le réduisant à des illusions, méprises et canulars. Reste une proportion de dubitatifs, reconnaissant comme tous la réalité d'une énigme, mais qu'aucune thèse n'a encore convaincu.

Traces photographiées suite à l'observation d'un "décollage" à Soccorro (Nouveau-Mexique) en 1964
Traces photographiées suite à l'observation d'un "décollage" à Soccorro (Nouveau-Mexique) en 1964

Les ufologues, souvent consternés que ce qu'ils découvrent chaque jour n'éveille pas plus de réactions ni de prise de conscience chez les autorités ou chez le grand public, trouvent dans cette effarement une force pour franchir la barrière des convenances, des a prioris, et accepter l'inconfort d'un décalage avec les idées admises par tous. Comment se fait-il qu'il y ait un tel décalage entre les données du phénomène et ce qu'en fait la société ? Tous visent à réduire ce décalage en présentant leur interprétation au public, soit comme un phénomène insoupçonné, soit comme un phénomène démystifié. Enfin, plus rarement, on pourra s'intéresser à l'ufologie par le besoin irrépréssible d'expliquer une expérience personnelle, si l'on a soi-même été témoin d'un ovni. Beaucoup ne savent pas si ce qu'ils ont vu était ne soucoupe volante extraterrestre ou autre chose. Cela reste, au moins, l'observation d'un phénoméne aérien étrange, pour lequel on a trouvé aucune explication.

Le phénomène

8 ovnis détectés par le radar de l'Aéroport National de Washington (Juillet 1952)
8 ovnis détectés par le radar de l'Aéroport National de Washington (Juillet 1952)

Si ces courants se sont dégagés, et qu'aucune explication ne l'a pour l'instant emporté sur une autre, c'est parce que le phénomène est complexe, et c'est là une troisième découverte. Si on ne peut nier son existence, on ne peut non plus nier son apparente incohérence : formes diverses, apparences diverses d'occupants au comportement incompréhensible (ostentatoire mais élusif, locutions parfois dénuées de sens), défi aux lois physiques connues. La plupart des ufologues considèrent cette image incohérente comme révélatrice d'une incompréhension, peut-être due à un manque d'information — une partie des données manquant pour comprendre le phénomène — ou au contraire à l'erreur de considérer l'ensemble des témoignages comme relevant d'un seul et même phénomène. On est alors tenté, soit de glisser discrètement une partie des données sous le tapis, soit à élaborer des théories "unifiées" sans réelles bornes, expliquant chaque jour un éventail plus large de phénomènes, à l'aide de concepts forcément de plus en plus abstraits.

Les débats

Symposium annuel du MUFON, une des plus grandes associations ufologiques
Symposium annuel du MUFON, une des plus grandes associations ufologiques

Tout naturellement, des débats ont lieu, constamment, entre spécialistes. On y parle de cas anciens ou tous récents, on échange des références, on défend des théories mais, trop souvent malheureusement, entre camps radicaux. D'un bord ou d'un autre, la simple évocation du doute vous catalogue rapidement chez l'ennemi. Il ne s'agit plus alors d'étude, mais de croyance. Parlez de l'intérêt d'une analyse socio-psy à un extraterrestrophile, et vous devenez un horrible sceptique. Parlez ensuite de l'intelligence apparente ce certains objets inexpliqués à un sceptique extrême, et vous devenez un illuminé. C'est le collage d'étiquette, c'est-à-dire en somme l'antithèse d'un débat : décréter ce que pense une personne, et la cataloguer dans le camp adverse, avec qui il n'est pas digne de discuter. On ne discute trop souvent qu'entre gens d'accord entre eux, pour faire avancer la cause, conspuer les ennemis, se donner des armes supplémentaires, dans l'espoir de bientôt remporter la "victoire".

Cependant on ne peut reprocher aux croyants de ne discuter qu'entre eux. D'abord parce qu'il ne s'agit pas d'un comportement surprenant dans le contexte où ils se trouvent, mais aussi parce que cela évite autant de débats stériles dont on ne pourrait de toute façon rien espérer. Lorsqu'on ne veut pas accepter la réalité de quelque chose, rien, absolument rien ne convainc, disait Pierre GuérinGuerin, Pierre, un ufologue célèbre, et astronome par ailleurs. Après tout donc, cela évite à chacun de perdre du temps, aussi bien les croyants que les chercheurs, pour qui les étiquettes deviennent autant de panneaux "Ne pas déranger".

Dans tous les cas, croyants ou chercheurs, il arrive que les egos s'en mèlent. Si c'est peu surprenant pour les premiers, c'est regrettable pour les derniers. De personnes ou de groupements, ces fiertés égoïstes nuisent parfois à la recherche en général, éludant des dialogues — un chercheur réputé ne parle pas avec un jeune blanc bec — ou entretenant un secret — il faut sortir un scoop avant telle association, il ne faut pas que telle information filtre — plus ou moins bien motivé : l'intérêt de la recherche reste l'information ou l'action menée en elle-même, qui que soit son initiateur. Heureusement la vérité finit toujours pas être connue, et nombreux sont les chercheurs privilégiant la connaissance avant la reconnaissance.

Les actions

Un témoin policier, un agent fédéral, un major de l'Air Force, une enquêtrice amatrice et un sergent de police militaire, tous sur le lieu de l'observation (1964)
Un témoin policier, un agent fédéral, un major de l'Air Force, une enquêtrice amatrice et un sergent de police        militaire, tous sur le lieu de l'observation (1964)

On trouve divers types d'actions ufologiques, auxquels correspondent souvent des profils d'ufologues. A la base de tout sont les enquêteurs, somme toute assez rares, mais indispensables. Ce sont eux qui, lorsqu'une rumeur circule, vont la vérifier, généralement à leurs propres frais. Il peut s'agir d'un travail de fond sur un cas réputé ou d'aller interroger les témoins d'une observation récente. De leur méthodologie dépend la qualité des données et donc des analyses. On trouve malheureusement autant de méthodologies que d'enquêteurs, et une collecte homogène des données reste à inventer. En effet, de la même manière que l'on peut pondérer la valeur d'un témoignage en fonction du profil du témoin (sa profession et ses compétences d'observation afférantes, sa réputation), le profil et la méthodologie de l'enquêteur lui-même ne sont pas neutres, et il reste hasardeux de les considérer homogènes, dans une étude statistique typiquement.

Une explication de photographie célèbre d'ovnis
Une explication de photographie célèbre d'ovnis

Exploitant le travail des enquêteurs, sont les chroniqueurs, les archivistes, répertoriant, synthétisant et publiant les données. Tels des journalistes n'allant pas sur le terrain, ils peuvent avoir la fâcheuse tendance à se recopier de proche en proche. Rarement enquêteurs eux-mêmes, ils ne vérifient que trop rarement leurs sources, et pourront se muer en vecteur de rumeurs infondées, souvent involontairement, mais parfois pendant très longtemps. Ce travers s'est d'autant plus développé avec l'émergence d'Internet, vecteur de communication facile et accessible à tous. Comme pour d'autres domaines, Internet à cependant apporté une accélération considérable à la recherche ufologique, au travers d'une grande démocratisation (voire de tribunes) et d'une capacité accrue de communication (dialogues, données multi-media). Cependant, encore une fois, les actions rendues possibles par ces nouveaux moyens sont limitées. Elle se réduisent à la transposition de l'écrit et de l'image tels qu'ils existent aujourd'hui en informatique, et la sémantique comme l'organisation de ces données reste spécifique à chaque chercheur, de sorte que l'échange et le traitement de l'ensemble des données disponibles reste problématique.

Enfin sont les théoriciens. Sur les bases des données publiées, ils élaborent des classifications, des études statistiques, et parfois des modèles d'explication du phénomène ou de certains de ses aspects. Un scientifique pourra proposer un modèle de propulsion expliquant certaines caractéristiques observées, un autre ufologue pourra avancer une théorie expliquant une sous-catégorie du phénomène, etc. Leur travail est chaque jour remis en cause par de nouveaux faits, et cent fois sur le métier remettront leur ouvrage les adeptes de la méthode scientifique.

L'ufologie est-elle une croyance ?

L'ufologie est en marge de la société, plus encore que des disciplines comme l'astrologie, la voyance, le feng shui ou la religion en général. A la différence de ces dernières, elle n'a pas de vérité établie. Elle est, par définition, une activité de recherche. C'est ici la première confusion que l'on fait à son égard : le public s'imagine que les ufologues sont des gens qui "croient aux ovnis", c'est-à-dire — dans l'esprit du public — croient que des vaisseaux spatiaux extraterrestres visitent la Terre. Pour un ufologue, "ovni" n'a pas la même définition : le terme se résume à son sens strict, c'est-à-dire un phénomène aérien qui n'a pu être identifié. Certains rechignent même à utiliser le mot "objet" qui est déjà pour eux un parti pris, et se cantonnent à parler de "phénomène". Pour un ufologue, un "véritable ovni" est un ovni qui n'a pas reçu d'explication, après enquête.

Il n'y a donc, en ufologie, ni d'ovni systématique, ni d'explication systématique. En fait, la plupart des ufologues n'ont pas d'explication. Les autres sont de véritables "croyants" — en une explication extraterrestre, en une explication paranormale, en une explication rationaliste, etc. — et passent plus de temps à défendre une thèse qu'à chercher une explication — c'est moins frustrant, mais ça ne mène pas au même but.

L'ufologie n'est donc pas une croyance. Elle n'a pas de vérité à présenter, elle n'a pas de dogme, ni d'impact dans la vie de tous les jours. Mais comme toute activité de recherche, elle a aussi ses propres "marges" de croyants.

L'ufologie est-elle une science ?

Publication du rapport de l'étude sur les ovnis commandée par l'US Air Force
Publication du rapport de l'étude sur les ovnis commandée par l'US Air Force

S'il est un point commun aux ufologues, c'est bien la volonté de reconnaissance. Ils entendent par là une acceptation publique de la réalité du mystère qu'ils étudient et de l'intérêt de son étude, avec le soutien que cela suppose de la part des autorités. Les ufologues sont convaincus du bien fondé de leur travail, et ressentent comme une injustice qu'il ne soit pas reconnu. Pour atteindre cette reconnaissance, ils se sont fixés un modèle : la science. Celle-ci représente la rigueur, la respectabilité, et le soutien que recherche l'ufologie. Pour atteindre ce but, certains ufologues se sont mis à appliquer à l'étude des ovnis la méthologie scientifique qu'ils ont apprise durant leur formation, ou sur le tas. D'autres, avec moins de bonheur, voudraient faire de l'ufologie une science en elle-même, comme si l'étude des pierres tombant du ciel avait donné place à la météoritologie, ou que la découverte d'une civilisation extraterrestre puisse un jour être une discipline en soi. L'ufologie a ses experts, elle a même ses scientifiques, elle peut se pratiquer scientifiquement, mais de fait, n'est pas une science, et n'a pas vocation à l'être.

Le aspects les plus voyants et les plus troubles de l'ufologie — ceux que voit le grand public — rendent donc problématiques ses relations avec la science. L'ufologie fait la cour à la science mais persiste une sorte de "je t'aime moi non plus" où l'une veut séduire, convaincre et embrasser, et l'autre est méfiante, voire repoussée par l'image que donne la première. Comme en amour, on fait des efforts, on veut être pris au sérieux (on change de nom, passant de "soucoupe volante" à "ovni", puis à "phénomène aérien non identifié", on sort ses plus belles formules et ses plus belles théories) et cela paye parfois : quelques scientifiques daignent alors oublier sa façade peu engageante pour s'intéresser à sa beauté intérieure. Mais la vie n'est pas un conte de fée, et pour la majorité c'est l'image qui reste importante avant tout, une image pour l'instant trop peu rassurante et crédible pour un néophyte, fut-il scientifique.

L'ufologie est-elle rationnelle ?

Tentative de corrélation entre observations d'ovnis et activité sismique dans le bassin de Uinta (1967)
Tentative de corrélation entre observations d'ovnis et activité sismique dans le bassin de Uinta (1967)

S'il est un acte rationnel, c'est bien de chercher à expliquer ce qui ne l'est pas. Combien de néophytes — parmi le grand public ou les scientifiques — vont qualifier l'étude des ovnis d'"irrationnelle", alors que, s'il est une attitude irrationnelle, c'est bien d'émettre un avis sur un problème que l'on a jamais étudié. C'est ce que l'on appelle un a priori, un avis avant étude.

Une autre tendance rationnelle, plus rare, consiste à suivre la vérité là où on la trouve. Si certains considèrent que changer d'avis est un comportement peu respectable, un "retournement de veste" qui ne serait que le signe d'une instabilité ou d'un opportunisme honteux, d'autres y voient la preuve d'une honnêté flagrante. On peut effectivement se demander ce que l'on a à gagner en changeant d'avis, que cela soit en science ou en ufologie. De la part de vos anciens sympathisants, que des colibets. De la part d'autres et surtout de soi-même, du respect. Changer d'avis en ufologie comme en science, est bien au contraire l'attitude la plus respectable que l'on puisse considérer. C'est admettre s'être trompé, et accepter d'en payer le prix pour coller à la réalité de la vérité. En ufologie quelques figures ont changé d'avis. Des partisans de l'extraterrestre ont évolué vers du paranormal plus large, d'autres vers le socio-psychologique, d'autres encore ont été troublés au point d'envisager sérieusement la visite de civilisations non humaines. Quel que soit leur choix, ils n'oublient pas leur expérience passée, il n'oublient pas ce en quoi ils ont cru. Au contraire, c'est justement cette expérience qui les a conduit vers ce nouveau stade de réflexion, et qui n'est, pourquoi pas, peut-être pas le dernier. Ainsi se construit l'intelligible, ainsi se construisent les explications, par essais et erreurs successifs, à l'image de la science.

L'ufologue et le grand public

Du jour où l'on commence à s'intéresser réellement au mystère posé par les ovnis, on entre dans un autre monde : un monde si vaste, empreint de ramifications, et si complexe que l'on s'apperçoit bien vite qu'il ne saura être accessible au public à qui l'on voudrait en faire part. On réalise que cela ne sera possible qu'au prix de simplifications et de compromis que l'on se refuse à accepter. Un scientifique accepterait-il simplications, termes approximatifs ou amalgames ? Rare sont les bons "vulgarisateurs" en ufologie, parce que le cœur du mystère réside dans l'accumulation des données, intransmissible en quelques phrases. Il y a là des trésors pour les scientifiques de tout domaines, mais ils ne le savent pas — et pour l'instant, ne veulent pas le savoir.

C'est donc enfermé, aussitôt, que l'on penêtre dans le monde des ovnis. Certains s'autoriseront des sorties pour recommuniquer avec le monde des "vivants", y gagnerons un équilibre, et d'autres y resterons reclus, préférant partir dans les profondeurs d'une connaissance privilégiée. Dans les deux cas, une réelle communication avec l'extérieur restera donc impossible. Est-ce grave ? D'autres domaines, comme les sciences officielles ne connaissent-elles pas le même sort ? Si, et elles semblent bien s'en accommoder. Car, contrairement à l'ufologie, le public croit en elles, et c'est ce qui fait toute la différence.

— Whoa... Vous avez vu ça ? — V-vu quoi ? — Moi non plus !
— Whoa... Vous avez vu ça ? — V-vu quoi ? — Moi non plus !

Ce public, et sa position face son domaine, l'ufologue le connaît par cœur. Il connaît sa typologie, ceux qui, sans jamais avoir étudié la question, vont déclarer "y croire" ou "ne pas y croire", et poser leurs sempiternelles questions : "Est-ce que vous y croyez ?", "Y-a-t-il des preuves ?" et autres "Est-ce que ça existe ?" Des questions pourtant si simples, mais qui hantent les ufologues, car ils ne peuvent y apporter de réponses. Ils ne croient pas, ils cherchent. Il y a des preuves, mais ce ne sont pas celles que vous attendez. Des choses existent, mais on ne sait pas ce que c'est. Pour le public, rien que des réponses insatisfaisantes. Commencez une réponse par "ça dépend" ou "je ne sais pas", et un néophyte perd son intérêt. Ce qu'il veut, ce sont des réponses, pas des recherches en cours. Mieux vaut encore dire "Je vous dirais quand j'aurai trouvé."

Un autre problème dans le discours au grand public est de ne pas passer pour un fou. Il faut en effet se souvenir que celui-ci considère toujours les ovnis comme des vaisseaux extraterrestres. Quand il vous demande "Est-ce que les ovnis existent ?", c'est en fait "Est-ce que des vaisseaux extraterrestres visitent la Terre ?" qu'il vous demande. L'ufologue, dans son propre langage, répond naturellement "oui" — la question lui semble même saugrenue : bien sûr que des gens voient tous les jours des phénomènes aériens qu'ils n'expliquent pas, et qui seront peut être expliqués plus tard — mais dès cet instant il est catalogué comme le plus endoctriné des raéliens. Répondez "je ne sais pas" et vous verrez la stupeur dans l'œil de votre interlocuteur : "Eh bien alors, pourquoi vous y intéresser ?". Même lorsque le grand public comprend que vous cherchez, il pense que vous le faites parce que vous croyez. Il pense que vous voulez révéler au monde une vérité. Il ne comprend pas que vous êtes simplement en train de chercher des réponses à des faits qui vous dépassent, et qui le dépassent sûrement lui aussi.

Le problème de la "preuve"

Si vous voulez irriter un ufologue, demandez-lui s'il a une preuve. Non pas parce qu'il n'en a pas, mais parce que, quoi qu'il vous réponde, il sait que vous n'en resortirez pas satisfait. Soit vous la rejeterez, victime de vos a prioris, soit vous resterez dubitatif, faute de pouvoir vérifier. Mais jamais — jamais — vous n'irez vérifier par vous-même. Parce que vous n'êtes pas ufologue. Parce que vous avez une conviction simple, et que vous ne voyez pas pourquoi en sortir. Pour trouver efforts et problèmes ? Non, vous "n'y croyez pas, et c'est très bien comme ça. Une incrédulité a priori qui n'est en fait bien sûr qu'une croyance comme une autre, un jugement de convenance. Un exemple en est le medium à tort emblématique de la preuve : la photographie. Tout le monde connaît la fameuse phrase "j'y croirai quand j'en verrai".

"Une forme indéfinie ? Ca peut être n'importe quoi..."
"Une forme indéfinie ? Ca peut être n'importe quoi..."

Montrez une photo d'ovni flou à un croyant, une boule lumineuse par exemple. Pour un partisan de l'hypothèse extraterrestre, il n'est pas étonnant que votre photo soit floue car les ovnis sont dotés d'un dispositif permettant de ne pas apparaître nettement sur les photos (où le gouvernement exploite un tel dispositif pour que l'on ne puisse rapporter de bonnes photos d'ovnis pour les complotistes). Pour un partisan de la socio-psychologie ou le grand public, c'est probablement une étoile, une planète, la Lune, un phare ou au pire de la foudre en boule, ajoutant "les photos d'ovnis sont toujours floues, comme par hasard. Montrez-moi donc une photo nette".

"Une soucoupe nette ? Forcément faux !"
"Une soucoupe nette ? Forcément faux !"

Montrez alors une photo d'ovni nette à un croyant. Une superbe soucoupe volante, sans aucune équivoque, en gros plan. Un défenseur de l'hypothèse extraterrestre vous dira qu'il s'agit d'une preuve indubitable, voire que seul un complot peut expliquer que l'on nie de tels éléments factuels. Le sceptique qui demandait cette photo nette vous dira qu'elle est "trop belle pour être vraie", et qu'il ne peut s'agir que d'un canular. Par définition.

On voit bien ici que ce n'est pas la preuve qui est en cause, mais la croyance. Conformément à son principe, le croyant évalue la véracité des faits en fonction de sa foi. Le président de l'ONU serre la main à un extraterrestre ? Puisque les extraterrestres ne peuvent pas exister ou nous visiter, c'est soit un trucage, soit une manipulation de l'opinion. Tous les scientifiques du monde entier s'entendent sur l'explication socio-psychologique des ovnis ? Puisque nous sommes visités par des extraterrestres, ça ne peut être qu'un complot. Les faits ne sont pour la croyance qu'un vecteur d'expression. Rien ne sert donc de remplir les critères de preuve d'un croyant, car la foi offre toujours un rebond possible. C'est le contraire de chercher.

Maintenant que répondrait un non-croyant face à ces photos ? Qu'une photo n'est pas une preuve. Il l'analysera, en tirera des conclusions quand à la possibilité d'un trucage ou les caractéristiques du phénomène photographié, mais jamais il ne concluera sur un cas — et a fortiori sur l'ensemble du phénomène ovni — sur le seule base de ce que le grand public considère intuitivement comme une "preuve". De la même manière, si les témoignages, les échos radar, les traces au sol constituaient des preuves incontestables, l'ufologie aurait depuis longtemps pignon sur rue. On est plutôt en droit de penser que la véritable preuve, s'il y en a une, se trouve au-delà de tel ou tel élément matériel. Nous disions tout à l'heure qu'on ne pouvait faire transmettre le mystère de l'ufologie en quelques mots, parce que son mystère résidait dans sa complexité, sa multitude, et l'accumulation des données. C'est donc peut-être là qu'il faut chercher. Dans la globalité plutôt dans que les détails, fussent-ils les plus concrets. Expliquer un cas, dans un sens ou dans l'autre, n'est pas expliquer le phénomène.

Envisager un phénomène nouveau

N'y a-t-il donc de salut en ufologie que par le non-choix ? Est-il déraisonnable et faire acte de croyance que d'envisager que nous soyons visités par des extraterrestres ou que le phénomène soit finalement explicable ? Bien sûr que non. Comme partout, si les marges sont dangereuses, c'est moins par les questions qu'elles posent que par les réponses qu'elles apportent — quand elles en apportent. Le phénomène ovni relève-t-il réellement de l'inconnu, ou n'est-il que la conséquence d'un ensemble de méprises et mécanismes psychologiques connus ? Est-il superflu ou nécessaire pour la science d'envisager une thèse éloignée du conventionnel, et à quel prix ? Les questions sont légitimes, mais les réponses apportées aujourd'hui sont-elles acceptables ?

Du point de vue la science, on sait que l'émergence de théories nouvelles (les météorites, le vol des plus lourd que l'air) ont toujours eu la vie dure, même lorsqu'ils étaient facilement reproductibles. Le phénomène ovni a quant à lui le désavantage de ne pas être reproductible, et de reposer en grande partie sur des témoignages.

au pire dogmatiques et au mieux prématurées. Certains cas d'ovni sont à l'évidence explicables par des mécanismes socio-psychologiques, et d'autres cas résistent à l'évidence à toute explication par des phénomène connus. Aucune croyance ne rend compte de l'ensemble.

L'ufologue n'est pas aux assises, et on ne lui demande pas de trancher, en temps et en heure, en livrant son "intime conviction". Non, on lui demande chercher, sereinement et rigoureusement, et de livrer une explication quand il l'aura trouvée, pas avant.

Les croyants

La 13ᵉ "Convention Annuelle des Vaisseaux Spatiaux" à Giant Rock (Californie) réunit 5000 personnes en octobre 1966
La 13ᵉ "Convention Annuelle des Vaisseaux Spatiaux" à Giant Rock (Californie) réunit 5000 personnes en        octobre 1966

Par définition, les croyants n'ont pas besoin de preuves. Leur foi ou intime conviction leur montre dans tout fait une preuve supplémentaire. Il y a plusieurs familles de croyants. En tout premier lieu le grand public, qui a son opinion a priori sur les ovnis, pourtant sans jamais les avoir étudiés. Il y aussi certains ufologues : pour prendre deux extrêmes, on peut citer ceux défendant "l'approche socio-psychologique" et ceux défendant "l'hypothèse extraterrestre". Dans un cas comme dans l'autre, ce n'est pas l'objet de leur croyance qui est en cause. Chacun peut raisonnablement s'accorder sur l'intérêt d'une étude socio-psychologique — s'en passer reviendrait à considérer naïvement le témoin comment un rapporteur toujours objectif et fiable — comme sur l'ouverture à une explication extraterrestre du phénomène. Les deux sont nécessaires, mais aucune n'est suffisant.

"que des ballons ?"
"que des ballons ?"

C'est donc ici la démarche qui est en cause. Les termes "approche" comme "hypothèse" en sont d'ailleurs très révélateurs : chacun désigne, non pas une méthodologie permettant d'aboutir à un résultat, mais une thèse à valider. Chacun commence par poser sa conclusion, puis examine les données qui, à coup sûr, doivent s'y accorder. Les cas récalcitrants seront, pour une thèse comme pour l'autre, "oubliés" ou rélégués à d'étranges catégories telles que, selon les familles : "canular possible", "trucage possible" — tout est possible en définitive, sauf la contradiction — du pudique "manque d'informations" — lorsque seules des informations non admissibles sont disponibles — ou au contraire de la "manipulation", du "canular visant à décrédibiliser" propres aux théoriciens de la conspiration. On ne verra jamais un croyant en "l'hypothèse extraterrestre" admettre que certains cas pourraient avoir une explication socio-psychologique, et je l'on ne verra jamais un croyant en "l'approche socio-psychologique" admettre que certains cas pourraient avoir une explication extraterrestre. C'est là le symptôme même de la croyance.

Les croyants confondent donc moyen — une hypothèse, un axe d'étude — et but, conclusion. En choisissant de n'utiliser qu'un seul de ces outils à leur disposition — que l'hypothèse extraterrestre ou que l'hypothèse psycho-sociologique — ils renoncent en fait à tout espoir de trouver une explication. Et pour cause, ils n'en cherchent pas : ils l'ont déjà, et la défendent. Lorsque survient un cas qui ne répond pas à leur dogme, il l'oublient, ou, lorsqu'il est trop voyant pour être mis de côté, échafaudent un écheveau si coûteux de suppositions, conditions nécessaires ou de raisonnements fermés qui s'auto-entretiennent qu'ils en perdent toute crédibilité. Les croyants s'enfoncent chaque jour un peu plus dans leur spirale, qui intéresse plus la sociologie que les ufologues.

Pourquoi des croyants ?

Intuitivement, on sent bien qu'il n'y a qu'une seule vérité possible. Cela semble logique. Quand quelqu'un raconte avoir vu un ovni, soit il s'agissait d'un véhicule extraterrestre, soit ce n'en était pas un. Il n'y a pas de "juste milieu" en la matière. Certes, mais pour un second cas ? Et un troisième ? C'est compliqué. Quand les choses deviennent trop compliquées, apparaît comme par magie la conviction. A un moment de son étude du phénomène, tout ufologue est susceptible de devenir "convaincu" d'une théorie ou d'une autre. Dans ces moments-là, les cas dérangeants disparaissent. En notre for intérieur on sait très bien qu'ils sont là, mais on les oublie, on les met de côté, en se disant qu'il s'agit de bruit, d'erreur de témoignage et bref, qu'après tout, ce ne doit pas être un témoignage probant, puisque la grande majorité du reste semble coller à la théorie qu'on s'est choisie. Une théorie qui a au moins l'avantage de nous sortir d'entre deux eaux où, décidément, il est pas agréable nager trop longtemps. Vient effectivement un moment où il n'est décidément plus supportable de ne pas savoir, ou du moins de ne pas croire savoir. Eviter cette désagréable impression de stagner, d'avoir passé toutes ces années à étudier sans avoir avancé. Alors on renonce, et l'on se décide, consciemment ou pas, soit à lâcher l'ufologie, soit à défendre une thèse plus facile que le phénomène lui-même. Il est plus facile de voir du "tout socio-psychologique", comme il est plus facile de voir du "tout extraterrestre". Mais le phénomène est toujours là, lui, et n'est pas facile.