Crédibilité des témoins – L'énigme OVNI

Facteurs sociologiques et psychologiques

Apparemment, il semble que l'attention publique fut, pour la première fois, attirée sur cet aspect des ovnis en 1968, lors des auditions par le Comité de la Chambre sur la Science et l'Astronautique (réf. chapitre 5). Le Dr. Robert Hall, directeur du département de Sociologie à l'Université d'Illinois, fut entendu en tant que témoin ; le Dr. Roger N. Shepard, du Département de Psychologie de l'Université de Stanford ainsi que le Dr. R. Leo Sprinkle, de l'Université du Wyoming, fournirent des documents pour le procès-verbal. 1 an plus tard, l'AAAS effectue un Symposium à Boston, sur le phénomène ovni, symposium comprenant quatre personnes de ces différentes spécialités.

Les sociologues et les psychologues sont largement divisés sur les témoins d'ovnis, au même titre que les autres investigateurs le sont sur le problème ovni en général. Par exemple, les Dr. Lester Grinspoon et Alan Persky semblent considérer que, non seulement les témoins, mais aussi les scientifiques sérieusement impliqués dans l'étude du phénomène ovni, sont victimes du syndrome Freudien classique sein/pénis, pour ceux qui font état de formes d'ovnis du type cigare ou soucoupe s1[Sagan et Page, op. cit., p. 233-246]. Cet auteur ne put trouver aucun autre document à l'appui de cette hypothèse.

Le Dr. Robert Hall qui était présent aux auditions du Parlement ainsi qu'au symposium de l'AAAS, rapporte que les gens essaient d'abord d'expliquer l'ovni en termes d'objet familier. C'est uniquement lorsque celui-ci ne peut être classé dans une catégorie connue que le témoin conclut que c'est un ovni. Il explique que chacun de nous possède un ensemble de systèmes de croyances qui nous aide à déterminer nos structures de référence pour la vie de tous les jours.

Ce à quoi croient les gens est généralement organisé à l'intérieur de systèmes de croyances élaborés. C'est à dire que chaque personne a une structure de connaissance constituée de nombreux éléments d'information et de croyance qui sont interdépendants, et les gens sont organisés en systèmes sociaux dans lesquels chaque personne prête appui à la croyance des autres à l'intérieur du système. Une croyance isolée est une croyance inconsistante ...

... Il apparaît que les gens tentent dans de nombreuses circonstances d'avoir des croyances cohérentes avec celles de leur environnement... Lorsque des personnes raisonnables rapportent des événements qui ne reçoivent aucun appui social de la part de leurs amis et qui ne sont pas en harmonie avec leurs propres croyances antérieures alors là nous devons prendre leur témoignage au sérieux?s2 [Ibid., p. 215]

De par ce raisonnement, le rapport d'un témoin devrait être crû, aussi longtemps que celui-ci a un bon comportement dans la communauté et qu'il répond aux autres critères définis dans la section B du présent chapitre.

Walter Sullivan, chroniqueur scientifique du New-York Times, souligne cependant que les ovnis font partie des systèmes de croyance de la plupart des gens après avoir été introduits dans ces systèmes par les media (ce sont eux après tout qui ont inventé le terme de "soucoupe volante" après que Kenneth Arnold eut rapporté ce qu'il avait vu).

On prétend que de nombreux témoins de phénomènes ovnis non expliqués ne croyaient pas aux ovnis avant leur propre expérience. Je soutiens que nous avons été conditionnés par la presse, la radio et la T. V. -- c'est à dire par l'accent général de notre société -- à une hiérarchie de croyances qui comprennent au minimum l'image de l'ovni pour la plupart de la population s3[Sagan et Page, op. cit., p. 39].

Si l'on accepte formellement que les ovnis fassent partie de fait du vocabulaire de tout un chacun, il faut donc déterminer quels sont les indices que l'on peut obtenir pour déterminer la fiabilité des témoins. Hall fait remarquer que notre système légal comporte des critères pour déterminer la crédibilité d'un témoin appelé devant un tribunal. Ce système prend en compte au niveau de l'individu : sa réputation dans la communauté ; sa connaissance antérieure de faits et de personnes impliquées dans la déposition ; ses motifs apparents de prévarication ou de déformation ainsi que les caractéristiques propres de la déposition telles que consistance, caractère récent, vérifiabilité des délais, etc ... s4[Ibid., p. 218]

Hynek appelle cela "taux de crédibilité" et pense que nous n'avons aucun droit d'ignorer sommairement les dépositions (des témoins) et de conclure qu'ils se sont trompés ou qu'ils sont de simples menteurs. Traiterions-nous ainsi ces mêmes personnes si elles déposaient sous serment devant un tribunal, sur des sujets plus concrets ? s5[Ibid, p. 218].

En tant que consultant de l'Air Force depuis des années, Hynek a une bonne connaissance des témoins et a observé qu'il y a très peu de témoignages d'ovnis effectués par des excentriques, et ce pour de nombreuses raisons dont la principale est que ces gens sont tout simplement incapables d'effectuer un compte-rendu articulé, objectif et basé sur des faits s6[Hynek, J. Allen (témoignage) dans Congrès U.S. Comité sur la Science et l'Astronautique. Symposium sur les Objets Volants Non Identifiés, op. cit., p. 5]. C'est une considération importante car elle met en évidence un aspect des témoignages d'ovnis sur lequel tout le monde tombe généralement d'accord. - Plus il y a de témoins, plus les rapports sont crédibles -. Hynek constate :

Il est vrai qu'occasionnellement un témoin unique, de faible crédibilité effectuera un compte-rendu hautement imaginatif sur un phénomène de toute évidence naturel. Mais ce type de compte-rendu est une mise en garde sur des témoignages d'ovnis effectués par un seul témoin... s7[Hynek, J. Allen. The UFO Experience: A Scientific Inquiry. Chicago, Henry Regnery, 1972, p. 20]

Philip Morrison en convient : Je dirais même qu'aucun témoin qui rapporte une histoire véritablement étrange n'est crédible. Le seul espoir est d'avoir des déclarations indépendantes avec plusieurs témoins indépendants et alors la crédibilité est certainement établie s8[Sagan et Page, op. cit., p. 282].

Il existe cependant un danger dans cette théorie. C'est la situation psychologique appelée hystérie collective par laquelle un groupe d'individus peut être amené à croire que tel ou tel événement est en train de se passer. On le définit de la manière suivante :

?Sa dissémination à travers une population de symptômes dans un contexte où aucune base concrète à ces symptômes n'a pu être établie et où toute une gamme de pratiques et comportements, largement empreinte d'un sentiment de peur d'une force mystérieuse, se répand à travers la collectivité... Ceci est inexplicable en termes habituels d'effets mécaniques, chimiques ou physiologiques s9Kerckhoff, A. C. et K. W. Black. The June Bug: A Study of Hysterical Contagion. New York, Appleton-Century-Crofts, 1968.

La relation que peut avoir cette situation avec les ovnis est inconnue le rapport Condon et le Symposium AAAS ont discuté ce point comme une possibilité. 2 cas cités dans ces 2 mêmes études illustreront ce que cette situation peut entraîner.

Le 1er cas est la fameuse émission radio de H. G. Wells, La Guerre des Mondes, en 1938. Pour les auditeurs de ce programme qui n'avaient pas entendu le présentateur expliquer que c'était seulement une fiction et non un fait réel, tout se passa comme si la terre avait été effectivement envahie par des extra-terrestres venus d'une autre planète. Leur réaction fut une réaction de panique, certains ayant littéralement "mis le cap sur les collines", et dans certains cas tentative de suicide. L'émission eut lieu à une époque où il régnait une grande anxiété causée par le risque de guerre, lorsque Hitler venait juste d'envahir l'Autriche et que les Japonais marchaient sur la Chine. La population était conditionnée avec des nouvelles de guerre et de destruction et la panique s'ensuivit.

Le 2ᵉ cas concerne l'épidémie de "June Bug" d'une usine du Sud. En 1942 des ouvriers d'une section d'une usine de textile du Sud firent état de troubles ayant comme symptômes : nausées, urticaire et évanouissement, causés par un minuscule insecte. En fait, il n'y avait aucun insecte. Ces symptômes s'étaient manifestés spontanément et résultaient de tension et de frustration ressenties par les ouvriers.

Le rapport Condon conclut simplement que l'on doit tenir compte de ce phénomène lorsque l'on étudie des cas d'ovnis, mais ne le cite pas comme une cause effective. Le Dr. Hall à la réunion de l'AAAS décida de l'écarter totalement en tant qu'explication.

On tenta d'assimiler les rapports sur les ovnis à ces cas d'hystérie collective... mais il est très difficile de faire admettre que les cas "solides" puissent être expliqués de cette manière. Tout d'abord les témoins d'ovnis, dans la plupart des cas n'interprètent pas cela comme une menace personnelle sérieuse. Ils décrivent souvent un ovni avec embarras mais sans peur. D'autre part, compte tenu que ces témoignages d'ovnis se succèdent depuis au moins des décades et qu'ils sont répartis à travers le monde entier ce serait un cas d'hystérie collective sans précédent s10[Sagan et Page, op. cit., p. 217].

Dans ces conditions le chercheur doit-il abandonner l'idée de déterminer la crédibilité d'un témoin ? Le Dr. Roger Shepard, dans sa déclaration au House Science and Astronautics Committee" * conclut que :

... Une étude scientifique des phénomènes ovnis n'est pas impossible... simplement plus difficile, car nous avons à faire face, dans la plupart des cas, à un problème ne pouvant pas être résolu en valeurs physiques, mais par l'interprétation de comptes-rendus verbaux. En résumé, nous avons à faire face à un problème relevant plus du domaine du psychologue que du scientifique. s11[Shepard, Roger N. (témoignage) dans Congrès U.S. Comité sur la Science et l'Astronautique. Symposium sur les Objets Volants Non Identifiés, op. cit., p. 224].

Le rapport Condon conclut qu'il serait souhaitable que des sociologues et des psychologues fassent partie des équipes d'enquêteurs sur les rapports d'ovnis s12[Rhine, Mark W. Psychological aspects of UFO reports, in Condon, Edward U. Scientific Study of Unidentified Flying Objects. New York, Bantam Books, 1968. p. 597 (notez que l'on y fait fréquemment référence comme étant le Rapport Condon]. Il semble de toute évidence, que les gens de ces disciplines pourraient contribuer grandement à l'effort. Mais du fait des divergences d'opinion existant dans ces professions, il semble douteux qu'ils arrivent à résoudre la controverse.

Le Dr. Hall déclara au Symposium de l'AAAS que :

Nous trouvâmes quelques scientifiques tenant un raisonnement de ce style : "Je peux citer des centaines de cas où les gens ont été vivement intrigués par un avion ou une étoile et qui l'ont signalé comme étant un ovni. Je peux également citer des centaines de cas comiques où des gens déséquilibrés racontaient des histoires de toute évidence fausses ; par conséquent il est plausible que le reste des cas soit du même genre". De ma propre expérience de pilote militaire durant la guerre, je sais que des aviateurs ont parfois tiré sur Vénus ou sur une île en croyant que c'était un avion. Il serait néanmoins stupide de ma part d'en conclure qu'il n'existe pas d'avions dans le ciel s13Sagan et Page, op. cit., p. 221.

Il y a donc 2 solutions possibles :

Etant donné ces différentes possibilités, je pense qu'il est plus plausible de croire à un stimulus physique particulier plutôt que de croire que de nombreux témoins se trompent de telle manière qu'ils arrivent à croire fermement qu'ils sont en train de voir quelque chose contraire à leurs propres croyances, et qui risque de les rendre ridicules aux yeux de leurs concitoyens s14[Ibid., p. 219].

De même que des professionnels, tels que Grinspoon & Persky pensent que les ovnis sont des manifestations psychologiques, il y a ceux qui rejoignent le Dr. Shepard dans sa conviction, après étude de nombreux cas d'ovnis, que la plupart des observations ne sont pas des aberrations psychologiques et qui reconnaissent avoir négligé d'étudier sérieusement ces cas, soit à travers la psychopathologie, soit à travers le phénomène ovni..." s15Sagan et Page, op. cit., p. 254.