1978

Nous pourrions décrire les routes par lesquelles l'information sur les anomalies supposées transitent vers les savants comme un "système d'intelligence sociale". Alors que certains scientifiques du social pourraient voir la controverse des météorites comme un cas de la résistance des scientifiques à la découverte scientifique , je pense qu'il serait plus exact de la voir comme un exemple de la résistance de la communauté scientifique à l'intelligence sociale quand il s'agit d'anomalies. L'intelligence sociale pour les événements tombant dans des modèles de réalité acceptés ne sont pas susceptibles de rencontrer la même résistance qu'on rencontré les météorites. Pour ce qui est de ceux tombant hors de ces modèles acceptés, cependant, de nombreux scientifiques (au 18ème siècle comme aujourd'hui) seraient d'accord avec le sentiment de Hume sur les miracles :

La filouterie et la folie des hommes sont des phénomènes si courants, que j'aurais plutôt tentance à croire que les événements les plus extraordinaires émergent de leur concourrance, que d'admettre d'un tel signal une violation des lois de la nature .

Polanyi a fait valoir de manière très convaincante qu'il pourrait être mieux de rejeter les données expérimentales anormales brutalement que de les réfuter avec soin . Souvent ces données peuvent être dues à des erreurs difficiles à détecter, et pourrait mieux valoir les ignorer, plutôt que de consacrer un effort scientifique précieux à prouver qu'elles ne sont pas bonnes. Si un tel cheminement peut être recommandé pour les expériences de scientifiques, un cheminement aussi fort n'est-il pas impliqué pour confronter les expériences incontrôlées de non-scientifiques ? Pourquoi du temps devrait-il être passé à la poursuite d'événements qui selon toute probabilité n'ont pas eu lieu, alors que des problèmes tangibles attendent une solution ?

Mais la méfiance des scientifiques envers le système d'intelligence sociale est sélective. Alors que de nombreux scientifiques sont disposés à croire que les signalements d'événements anormaux par des non-scientifiques sont généralement à écarter, ils pensent aussi que d'une manière ou d'une autre les événements anormaux "authentiques" seront correctement transmis au système. S'ensuit de ce principe que l'absence de signalements constitue une preuve de l'inexistence de l'anomalie. Par exemple, John Pringle, un membre de la Société Royale de Londres et plus tard son président, déclara en 1759 être convaincu que les météores ne tombaient jamais au sol :

Et ici je m'aventurerai à affirmer, que, après avoir parcouru tous les récits que j'ai pu trouver de ces phénomènes, je n'ai rencontré aucun cas bien garanti d'un tel événement ; pas plus que l'on doive imaginer, mais que, si ces météores étaient vraiment tombés, il devrait y avoir depuis longtemps une preuve solide du fait, de manière à ne laisser aucune place au doute à ce sujet aujourd'hui .

Nous ne savons pas quelle information utilisa Pringle pour en venir à cette décision, mais on se demande s'il était au courant de l'observation par Henry Barham d'un météore frappant la terre en Jamaïque vers 1700 . Cette observation est d'autant plus significative qu'elle parût dans les Philosophical Transactions de la même Société Royale dont Pringle était membre.

On doit reconnaître que l'argument contre l'existence de nombreuses anomalies controversées est au moins en partie sociologique. Lorsque l'on soutient que s'il y avait vraiment une chose comme X, j'en aurai entendu parler aujourd'hui, la personne parlant fait des suppositions non seulement sur les propriétés physiques de l'anomalie, mais aussi sur la manière dont fonctionne le système d'intelligence sociale par rapport aux événements anormaux. Les scientifiques tendent à supposer que les signalements sont plus complets qu'il ne le sont souvent. Il y a un certain nombre de raisons pour lesquels cette illusion de signalements complets est erronnée. Nous pourrions prendre comme exemple les signalements de pluies de météorites au 20ème siècle. H. H. Nininger, qui consacra la plupart de sa vie à la recherche de météorites, indiqua que les 3 estimations suivantes étaient souvent erronées à cause de signalements incomplets et de recherches inadéquates :

  1. la quantité de matériel impliqué dans une pluie donnée
  2. le nombre de pluies dans une zone donnée
  3. la masse globale de matière météoritique tombant sur Terre .

Dans un cas la quantité de matière impliquée dans une pluie au Texas fut revue à la hausse de 68,2 livres à 1500 livres, soit 22 fois plus . Nininger trouva aussi que certaines découvertes n'étaient pas signalées afin d'éviter le ridicule et l'embarras . Nous avons déjà vu que le ridicule fut efficace pour empêcher la publication de certains signalements de météorites. Qu'aurait été l'opinion de Pringle si le rapport de Tata avait été publié en 1756 et que Pringle l'avait vu ?

Un problème lié est l'illusion de centralité. De nombreux scientifiques semblent penser que si des signalements avaient été faits, ils aurait personnellement été au courant. La conviction de DeLuc que les supposées pluies de météorites étaient en fait des illusions d'optique l'amenèrent à suggérer que là où il y a peu de pierres, ces illusions d'optique n'interviennent pas. Dans la région de l'Amazone, où on peut aller sur des miles sans voir une pierre, il n'y a pas de signalements de météorites : n'ayant aucun objet qui pourrait donner lieu à de telles illusions, elles ne se produisent pas . On se demande ce qu'il aurait dit s'il avait été au courant de la découverte en 1784 d'une énorme masse de fer natif se trouvant isolée dans une région côtière brésilienne . Quant à la masse sibérienne trouvée par Pallas, il était difficile de voir d'où cette masse était venue, si ce n'était du ciel. Et en fait cette masse est une météorite. Mais DeLuc n'était pas au courant de cette découverte, et il semble qu'elle n'ait pas été publiée avant 1816.

De la même manière, Charles Blagden en 1784 spécula sur le fait que les météores puissent être une sorte de comètes terrestres. Il rejette cette hypothèse, indiquant :

Mais une telle foule de corps en révolution pourrait difficilement éviter d'annoncer leur existence par d'autres moyens que simplement un train lumineux dans la nuit ; comme, par exemple, en se réunissant ou justling parfois près de la terre, ou en tombant sur terre suite à divers accidents...

Il n'est apparemment au courant d'aucun récit de pluies de pierres liés aux météores. Il pense sûrement que si de telles pluies de pierres avaient eu lieu, il l'aurait su. Mais elles avaient bien eu lieu, et très récemment, et il ne le savait pas.

En regardant ces suppositions erronées, on pourrait être tenté de les voir comme le résultat d'une arrogance et d'un dogmatisme. Mais ce serait une erreur. Car la présomption était, en fait, très raisonnable. Si s'était agit d'événements moins anormaux, les savants en aurait probablement entendu parler ; ce fut précisément le caractère anormal des événements qui rendit leur signalement si insatisfaisant. Si les témoins et savants qui souhaitaient signaler des pluies n'avaient pas été sujet à l'incrédulité et le ridicule, la connaissance de ces pluies aurait été bien plus largement distribuée. Dans ce cas, la présomption de non-existence servit à empêcher la transmission de l'information qui aurait indiqué que les météorites existaient bel et bien.