Un lien manqué

Mon point de départ sera 2 mémoires soumis à l'Académie Royale des Sciences française, un en 1771, l'autre en 1772. Le 1er traite de l'observation d'un météore impressionnant sous forme de boule de feu , le 2nd de l'analyse chimique d'une roche supposée être tombée du ciel. Les 2 articles concernaient des choses arrivant dans le ciel, et nous savons aujourd'hui que les 2 articles traitaient de parties du même phénomène : l'entrée et la chute de corps extraterrestres dans l'atmosphère terrestre. Aujourd'hui de tels corps sont appelés "météores" lorsqu'ils transitent dans l'atmosphère terrestres, et "météorites" lorsqu'ils tombent au sol. A l'époque, cependant, aucun lien ne fut fait entre ces 2 phénomènes, et en dépit de la forte proximité des 2 articles dans le temps, leurs sujets ne furent pas reliés l'un à l'autre par les Académiciens. Pas plus que les 2 phénomènes ne furent traité de manière égale. Alors que le rapport sur le météore le traita comme un événement réel, celui sur la météorite la traita comme une fiction, ou du moins comme un autre type d'événement qui avait été mal perçu : les pierres ne tombent tout simplement pas du ciel.

L'échec à établir un lien entre ces 2 phénomènes fut très sérieux, puisque l'explication des météores n'était possible qu'avec les éléments apportés par la météorite. LeRoy, l'auteur de l'article sur le météore, pensait que parmi la multitude d'objets de toutes sortes qu'englobe la physique, aucun d'entre eux n'est plus important, ou ne mérite plus notre attention, que les météores . Mais il n'était pas plus capable d'offrir une explication satisfaisante à leur sujet que d'autres savants. Edmund Halley, par exemple, suggéra dans un article qu'il s'agissait de corps solides – puis, dans un autre article 5 ans plus tard, qu'ils étaient causés par l'ignition de long trains de gaz dans l'atmosphère . LeRoy lui-même envisagea plusieurs hypothèses, mais n'acceptait aucune d'elles comme convaincantes. Il ne semblait pas au courant de quelconques signalements de pierres tombées, et n'était pas d'accord avec la suggestion que des corps solides puissent être la cause de ces apparitions . Les indices qui auraient permis de résoudre le mystère n'étaient pas vus comme tels.

Et pourtant les indices existaient. Le stimulus pour l'analyse chimique de 1772 avait été 3 "pierres de foudre" soumises à l'Académie en 1769 par des sources indépendantes. L'historien de l'Académie remarqua même la ressemblance surprenante des pierres entre elles . Mais le rapport de l'analyse chimique de l'une des pierres, soumis par Fougeroux, Cadet, et le grand Lavoisier, conclut que les pierres n'étaient pas tombées du ciel. Ils firent remarquer que les "vrais physiciens" avaient toujours considéré très douteuse l'existence de ces pierres , et ne virent aucune raison de changer d'avis dans l'analyse chimique de la pierre dont ils diposaient. Cet exemple fut simplement un des nombreux rejets dont des pierres semblables eurent à souffrir entre les mains de savants et académies savantes. Parce que ces éléments cruciaux furent rejetés, la compréhension de la nature des météores devrait attendre la parution du livre de Chladni en 1794.

Il est intéressant de noter que l'acceptation d'une partie du phénomène (les météores) et le rejet de l'autre (les météorites) reposait sur des occasions inégales d'observer les 2. Alors que le météore était souvent visible sur plusieurs milliers de miles2, la chute de la météorite n'était visible que dans une zone bien plus restreinte. Cette inégalité signifie que alors que les roturiers et les savants pouvaient observer le météore de la même manière, et en grands nombres, le nombre de témoins d'une chute de météorite était plus susceptible d'être très petit et peu susceptible d'inclure des personnes ayant une formation scientifique. Dans au moins 1 cas (Barbotan en 1790) l'observation d'un météore fut facilement acceptée alors que les savants rejetèrent la chute des pierres météoritiques qui eurent lieu à la fin de sa trajectoire . Au cours du 18ème siècle, alors que des articles sur des météores rapportaient simplement des observations ou traitaient de possibles explications quant à leur nature, les articles sur les météorites se préoccupaient largement de savoir si ces choses pouvaient effectivement tomber du ciel.

Vers la fin du 18ème siècle, cette attitude commença à changer rapidement. En 1794 Chladni publia son livre, dans lequel il utilisa des récits de chutes de météorite et des trouvailles pour relier météores et météorites et suggéra que les phénomènes étaient d'origine extraterrestre. Peu après, suite à de plusieurs pluies notables, le chimiste anglais Howard et le minéralogiste émigré de Bournon analysèrent plusieurs pierres et métaux météoritiques et trouvèrent des similitudes surprenantes dans leur composition chimique. Les météorites de métal contenaient du nickel – une combinaison connue pour n'intervenir que dans les "roches" qui tombent du ciel . Les analyses chimiques allèrent loin dans le fait de convaincre les savants de la réalité du phénomène. En 1803, De Dree put remarquer que :

Il n'y a pas encore longtemps qu'on s'exposait au sourire amer du dédain en paraissant croire qu'il pouvait tomber des masses minérales de l'atmosphère sur notre globe ; mais grâce aux recherches faites par plusieurs savants sur ces minéraux extraordinaires, et aux récits circonstanciés de la chute de quelques-uns d'entre eux (...) l'attention générale est en ce moment fixée sur ces phénomènes étonnants .

Le même jour où ces mots furent lus devant l'Institut de France, il fut annoncé qu'une énorme quantité de pierres était tombée près du petit village de l'Aigle, en France, à juste 70 miles de Paris. D'autres signalements suivirent ; certaines des pierres en question arrivèrent. L'Institut envoya Jean-Baptiste Biot enquêter. Biot, qui s'était auparavant annoncé en faveur des météorites , fit un travail d'enquête élégant et approfondi. Son rapport n1 Biot, J.-B.: Relation d'un Voyage fait dans le département de l'Orne pour constater la réalité d'un météore observé à l'Aigle le 26 Floréal an 11, Paris: Baudouin, 1803. (Note: la date donnée dans le titre est erronée. Il devrait être 6 Floréal, soit 26 avril 1803, comme l'indique le texte du livre), mit au pas virtuellement tous les doutes restant quant à la réalité des météorites.