Les forces armées et la recherche sur les ovnis

Dotte-Charvy, Guy: GEPA, vendredi 21 mai 1976

Le présent article ne prétend pas présenter la position officielle de l'Armée Française vis-à-vis du phénomène ovni ni même traduire le sentiment général des cadres de l'Armée de terre sur ce problème ; il ne veut qu'apporter quelques réflexions en réponse à la question si souvent posée : Pourquoi les forces armées, avec les moyens dont elles disposent, ne prennent-elles pas complètement à leur charge la recherche sur les ovnis ?

Il serait fort intéressant qu'une enquête soit menée dans l'Armée de terre pour connaître combien de ses cadres ont été témoins d'un phénomène ovni. Il est certain que le pourcentage dépasserait la moyenne nationale n1A titre d'exemple, lors d'une conférence donnée en milieu militaire, 25 % des cadres présents ont déclaré avoir observé un phénomène qualifié de "surprenant".

A cela, il est une explication très simple : les militaires vivent beaucoup à l'extérieur, ils s'entraînent très souvent la nuit, en des lieux déserts et, pour des raisons historiques, ils ont dans l'ensemble beaucoup voyagé. Actuellement une majorité d'entre eux accueille l'énigme posée par les ovnis avec un esprit ouvert quand ce n'est pas avec une curiosité constructive certaine. Pourtant, la société militaire dans son ensemble, et tout particulièrement l'Armée de terre, néglige le problème, ou, plus exactement, semble l'ignorer. Trois raisons peuvent expliquer cette attitude : la nature de la défense militaire, la lourdeur de l'Administration et les impératifs financiers.

L'ordonnance du mercredi 7 janvier 1959 portant Organisation Général de la défense stipule : La Défense a pour objet d'assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d'agression la sécurité et l'intégrité du territoire ainsi que la vie de la population.

Les Forces armées ne sont que la matérialisation d'une des formes que prend la défense (il en existe d'autres : défense civile, défense économique, etc.). Ces forces sont organisées, essentiellement, pour s'opposer à toute agression violente. Au niveau d'un Etat, agression violente signifie : action menée par un ennemi représentant lui-même un certain volume de forces. Cet ennemi n'est pas abstrait, même s'il n'est pas désigné (les Armées de tous les pays se ressemblent). Il s'ensuit que les Forces nationales sont façonnées et que des missions leur sont données en fonction des réponses apportées aux questions générales suivantes :

Le phénomène ovni n'a pas, du moins actuellement, le caractère d'une menace d'agression violente menée par une force volumineuse. Ramenée à notre mesure, l'affaire de Valensole, par exemple, n'a aucunement un caractère de menace.

Si on lui applique la série de questions énoncée ci-dessus, on n'obtient pas de réponse. À la limite, "l'atterrissage" peut être considéré comme une simple infraction aux règlements de police et de douane ; les Forces armées, et en particulier l'Armée de Terre, n'ont pas à en connaître n2Éventuellement cependant l'armée de l'Air peut avoir à intervenir si l'on considère qu'il y a eu violation de l'espace aérien ; mais où est la preuve ? — la gendarmerie aussi, bien évidemment, mais pour des raisons qui ne sont pas "militaires".

Il est pourtant un domaine ui devrait intéresser les Forces armées : celui de la technologie. En effet, les phénomènes apparaissent non seulement réels, mais encore, bien souvent, comme le fruit d'une "industrie".

Un ingénieur de l'armement très curieux n3Il en existe ! peut souhaiter étudier ces prétendus objets, ne serait-ce que dans le but de stimuler son imagination (par exemple : si ces objets sont matériels, pourquoi ne provoquent-ils pas de "bang" quand ils évoluent à des vitesses supersoniques ?). Malheureusement cet ingénieur curieux se heurte à un obstacle qui n'est pas propre à l'Armée. Cet obstacle se traduit par le processus administratif suivant :

  1. pour qu'un chercheur puisse sur pencher sur l'aspect physique du phénomène, il lui faut des observations précises et convaincaintes ;
  2. pour que ces observations soient précises et convaincantes, il faut qu'elles soient assorties de mesures ;
  3. ces mesures ne peuvent être éventuellement obtenues que grâce à des appareillages nécessairement nombreux et coûteux ;
  4. le chercheur ne peut obtenir ces appareillages que s'il dispose d'observations précises et convaincantes comme preuve du bien-fondé de sa recherche.

La machine administrative ne permet pas d'échapper à ce syllogisme, du moins tant que la position de la communauté scientifique vis-à-vis du problème n'aura pas profondément changé.

Un dernier obstacle, corrolaire du 2nd, se dresse encore devant notre ingénieur militaire : l'obstacle financier. L'Armée est une administration. À ce titre, elle ne peut engager une dépense qui n'ait été prévue par une ligne du budget : ceci est d'ailleurs heureux pour les contribuables... Comme chacun le sait, le budget des Armées est terriblement "court". Compte tenu des missions qui leur sont données par le gouvernement, les Forces armées sont contraintes de définir des priorités, dans la recherche et dans l'équipement. Comme, d'une part, ainsi qu'il a été dû plus haut, le phénomène ovni n'apparaît pas comme une menace, comme, d'autre part, il n'est pas dans les missions des Forces armées d'effectuer de la recherche pure ou fondamentale — il existe d'autres organismes pour cela — il est bien évident qu'aucun crédit ne peut être affecté à des études portant sur le phénomène ovni et il ne faut pas s'en étonner n4Dans les années passées, certains Bureaux des différents États-Majors furent bien chargés de "suivre" le phénomène. En fait, ces Bureaux ne purent "qu'examiner" les témoignages, sans réellement mener des études approfondies sur le terrain ou en laboratoire.

En guise de conclusion, on peut se demander ce qu'il adviendrait si, demain, le phénomène ovni se révélait être, soudain, un danger ; si les soucoupes volantes devenaient hostiles, si la "guerre des mondes" menaçait...

Mais comme disait Kipling, ceci est une autre histoire...