Méthodologie scientifique du Projet Colorado

Le titre du Rapport Condon est Etude Scientifique des Objets Volants Non Identifiés. Le grand poids attaché à ce rapport par les scientifiques, par le public et peut-être par des officiers du Gouvernement Fédéral est basé sur la présomption que l'étude était, en fait, scientifique n1[et également sur la présomption qu'il s'agissait d'une enquête libre et ouverte sans aspects secrets tels qu'un hidden agenda or undisclosed involvement with sources of classified information. Plus plus de commentaires sur cet aspect, voir la Postface]. Ceci a été contesté par un certain nombre de personnes, notamment McDonald (1969) et Hynek (1972) qui firent des critiques spécifiques de la méthodologie du projet. Ces critiques ne seront pas répétées ici. Les commentaires qui suivent sont de nature plus générale.

Qu'il existe ou non une "méthode scientifique" bien définie applicable à tous les problèmes scientifiques, le fait est que les pratiques utilisées par les scientifiques varient d'un sujet à l'autre. Dans les domaines de recherche où le bruit de fond et/ou la variabilité inhérente sont élevés, tels que l'épidemiologie et la météorologie, il est nécessaire de développer et utiliser des techniques statistiques appropriées d'analyse des données. Là où la situation expérimentale est bien contrôlée et où les résultats sont honnêtement reproductibles, il pourrait être suffisant et pourrait être souhaitable d'analyser une expérience unique en détails méticuleux.

Il a été souligné en section 2 que les physiciens tendent à chercher une expérience exceptionnelle qui, prise isolément, prouve ou invalide de manière concluante une hypothèse donnée. Il n'est peut-être pas surprenant, par conséquent, que ce soit l'approche adoptée par Condon pour apréhender les informations qui lui furent rapportées par son équipe. Dans une certaine mesure, elle reflète également l'attitude de l'équipe scientifique. Comme exceptions à cette règle, on pourrait citer le paragraphe récemment cité de Craig s1[Condon & Gillmor, 1968, p. 115], concernant les Eléments physiques indirects, qui reflète clairement le jugement basé sur une accumulation d'indices. Il est également intéressant de mettre en avant que, si l'équipe a effectivement recherché 1 ou 2 cas permettant de prouver une hypothèse ou une autre, il aurait été nécessaire de consacrer bien plus de temps, d'attention, de main d'œuvre et de ressources à ces cas than appears to have been given to any one case.

Le problème des ovnis est peut-être plus proche de l'astronomie que de la physique. Aucune observation de la position d'une seule planète n'établit la loi de Kepler. Aucune observation des position et magnitude d'une seule étoile n'établit que le Soleil est dans une galaxie de forme discoïdale. Pas plus que les données relatives à une seule étoile ne confirment une théorie proposée d'évolution stellaire. En discutant les problèmes astronomiques, il est essentiel de combiner les éléments dérivés de nombreuses observations. La solidité des faits observationnels ne pourrait devenir significative que lorsque de grands nombres d'observations sont combinés.

En suivant la pratique astronomique comme un guide, on pourrait inférer qu'une 1ʳᵉ étape cruciale dans l'étude scientifique des ovnis serait la compilation d'une catalogue. Cela aurait pour conséquence immédiate de tirer des conclusions sur une information déjà accumulée (dans de nombreux cas avec de grands efforts et précautions) par d'autres organisations. Par exemple, des organisations telles que l'APRO (Aerial Phenomena Research Organization), le CUFOS (Center for UFO Studies), le MUFON (Mutual UFO Network) et le NICAP (National Investigation Committee for Aerial Phenomena) ont compilé des fichiers étendus de cas d'ovnis en utilisant des techniques minutieuses de criblage et d'évaluation. Une collection valable de données, qui le projet aurait pu exploiter, fut celle produite par le Battelle Memorial Institute, sous contrat avec l'Air Force, et publiée comme le Rapport Spécial Blue Book n° 14. Ceci fut certainement accessible au projet, puisqu'il fut déclassé en 1955.

Il y a, en fait, un grand avantage à tirer de l'utilisation de plus d'une source de données. Les données dérivées d'une source ne pourrait être que fausses, ou partiellement fausses, et les mêmes pourraient être vraies pour une autre source de données. Si les deux sources de données dégagent des motifs distincts et irreconcilables, on pourrait suspecter qu'au moins 1 des 2 sources a été sujette à une réduction biaisée et éventuellement même une fabrication délibérée. Si une des sources de données est de la propre équipe scientifique de quelqu'un, il pourrait conclure que la faute réside dans l'autre groupe, ou pourrait choisir de vérifier avec attention les méthodes utilisées par sa propre équipe.

D'un autre côté, les motifs qui apparaissent de manière cohérente dans les données dérivées de plusieurs sources sont bien plus significatives qu'un motif qui s'affiche dans les données d'une source mais pas dans les données d'autres sources. Les faits "solides" de ce type ne peuvent être obtenus que par un catalogage minutieux des données d'autant de sources responsables que l'on peut trouver. Après qu'un catalogue ait été compilé et que des motifs soutenus par le poids des éléments dans le catalogue aient été établis, on peut alors commencer la comparison des éléments et hypothèses (un exemple exceptionnel de ce processus est la construction du diagramme de Hertzsprung-Russell en astrophysique, qui fournit le test crucial pour toute théorie de l'évolution stellaire). Cette procédure est complexe, appelant une organisation minutieuse de travail théorique et réduction des données. Une procédure de "comptabilité" pour organiser les nombreux jugements impliqués dans cette étape de recherche scientifique a été proposée ailleurs s2[Sturrock, 1973], avec application aux problèmes astrophysiques en tête. Certains commentaires ultérieurs sur l'étude scientifique des ovnis sont basés sur cet article.

En évaluant un phénomène, il est essentiel de "filtrer" les éléments disponibles. Une procédure-clé de filtrage est représentée par la définition du phénomène. A cet égard, la définition de Condon, qui a déjà été citée, souffre du défaut de permettre une grande partie de "bruit" accompagnant le "signal", quel qu'il soit, qui puisse se trouver dans les données. La plupart des personnes étudiant le phénomène des ovnis adopteront une définition plus restrictive telle que celle adoptée par Hynek (1972), qui recommande qu'un "signalement d'ovni" soit défini comme une déclaration par une personne ou des personnes jugées responsables et psychologiquement normales par les standards communément admis, décrivant la perception personnelle, visuelle ou aidée par des instruments d'un objet ou d'une lumière dans le ciel ou au sol et/ou de ses effets physiques supposés, qui ne spécifie aucun événement physique, objet, processus ou événement psychologique connu. Cependant, la définition de ce phénomène ne constitue qu'une seule procédure de filtrage. Dans la discussion d'un phénomène complexe tel que celui des ovnis, elle devrait être suivie d'autres "filtres" qui pourraient inclure des restrictions sur les éléments autorisés, les schémas de classification, etc. Les synthèses de l'équipe fournissent, en fait, un découpage des éléments en catégories, mais ceci n'est qu'un schéma d'analyse rudimentaire.

Un autre point important de la méthodologie scientifique est que, si l'on évalue une hypothèse (comme l'HET), il est salutaire de considérer cette hypothèse comme un membre d'un ensemble complet d'hypothèses mutuellement exclusives. Ce point semble également avoir été clairement reconnu par Thayer s3[Condon & Gillmor, 1968, p. 116], mais fut apparemment ignoré par Condon et par d'autres membres de l'équipe du projet.

Finalement, en évaluant une hypothèse, on doit éviter les procédures de réduction des données qui dépendent sur la vérité ou la fausseté de cette hypothèse. Dit d'une autre manière, on doit éviter les arguments "dépendants de la théorie". Ce prérequis, par-dessus tout, rend l'appréhension du phénomène ovni très difficile : si nous entretenons l'hypothèse que le phénomène pourrait être du à une civilisation extrêmement avancée, nous devons faire face à la possibilité que nombre des idées que nous acceptons comme de simples vérités pourraient, dans un contexte plus large et plus sophistiqué, ne pas être aussi simples et même ne pas être vraies.

Comme argument spécifique, on pourrait attirer l'attention sur l'argument s4[Condon & Gillmor, 1968, p. 143] qu'un ovni supersonique devrait produire un bang sonique. Ceci est certainement vrai pour tout objet supersonique que l'homme a construit. Mais nous ne devrions pas supposer qu'une civilisation plus avancée ne pourrait pas trouver un moyen ed voyager à des vitesses supersoniques sans produire de bang sonique. Petit (1986) a prêté une attention particulière à cet aspect des rapports d'ovnis et a proposé une procédure impliquant des processus magnétohydrodynamiques où l'onde de choc d'un objet supersonique serait supprimée.

S'il est simple d'indiquer ce prérequis quant à la réduction des données, il n'est en aucun cas simple de le mettre en œuvre. Il pourrait, en fait, être nécessaire de procéder par essais et erreurs : chaque fois que quelqu'un se trouve dans une impasse, une situation dans laquelle il est impossible de réconcilier les données établies avec une quelconque hypothèse explicitement considérée (y compris celle de l'HET), on pourrait avoir besoin de revoir le processus de réduction des données pour voir si le relâchement d'une hypothèse implicite amènera à une situation dans laquelle l'élément peut être réconcilié avec au moins une hypothèse explicite.

Un autre exemple de ce type de situation est la discussion sur les Défaillances d'automobile et de phares s5Voir Craig dans Condon & Gillmor, 1968, pp. 100-108, qui a été discutée en section 4. Comme nous n'avons noté, la position prise par Condon et les autres membres de l'équipe du projet est que, si les moteurs d'automobiles sont arrêtés, ce phénomène doit être dû aux champs magnétiques associés aux ovnis. Condon et les autres membres de l'équipe ne considèrent apparemment pas la possibilité qu'une civilisation avancée puisse connaître et utiliser des processus physiques dont nous ne sommes aujourd'hui pas familiers n2 [encore que cette possibilité soit peut-être la raison la plus intriguante pour laquelle un scientifique soit intéressé à étudier le phénomène ovni]. La discussion des bangs soniques et des défaillances de moteurs d'automobiles par l'équipe Condon donne 2 exemples typiques d'arguments dépendants d'une théorie.