La souffrance de l'homme

Kaczynski, Theodore: La société industrielle et son futur, 1995
  1. Le système techno-industriel ne s'effondrera pas simplement du fait d'une révolution. Il n'y sera vulnérable que si ses propres problèmes de développement interne l'ont conduit à de graves dysfonctionnements. Ainsi, si le système s'écroule, il le fera soit spontanément, soit suivant un processus en partie spontané, mais avec l'aide de révolutionnaires. Si la chute est soudaine, de nombreuses personnes mourront, puisque démographiquement parlant, ils ne peuvent plus être nourris que par le biais de la technologie avancée. Même si l'effondrement est suffisamment graduel pour que la réduction de la population se fasse plutôt par le déclin du taux de natalité que par celui du taux de mortalité, le processus de désindustrialisation sera certainement extrêmement chaotique et entraînera de nombreuses souffrances. Il est naïf de croire que la technologie peut-être éliminée par phases graduelles de manière contrôlée, tout particulièrement parce que les technophiles se battront avec acharnement à chaque étape. En conséquence, n'y a-t-il pas de la cruauté à vouloir la fin du système ? Peut-être que oui, peut-être que non. Tout d'abord, les révolutionnaires ne seront capables d'abattre le système que s'il se trouve empêtré dans de graves problèmes tels qu'il est probable qu'il se disloque de lui-même. Et plus le système devient omnipotent, plus désastreuses seront les conséquences de son effondrement. Ainsi, il est possible qu'en hâtant la chute, les révolutionnaires réduisent l'étendue des dégâts.
  2. Deuxièmement, il faut mettre en balance la mort/la faim et la perte de liberté/dignité. Pour beaucoup d'entre nous, la liberté et la dignité sont plus importantes qu'une longue vie exempte de douleur physique. De surcroît, nous mourrons tous un jour, et il peut-être préférable de mourir pour sa survie ou pour une cause que de vivre une vie longue, mais vide et sans but.
  3. En troisième lieu, il n'est pas du tout certain que la survie du système conduise à moins de souffrance que son effondrement. Le système à déjà causé et continue à causer une immense souffrance partout dans le monde. Les cultures traditionnelles, qui pendant des siècles ont assuré un équilibre entre les individus et leur environnement, ont été laminées au contact de la société industrielle, et le résultat à été un immense champ de problèmes économiques, sociaux, environnementaux et psychologiques. Un des effets de l'intrusion de la société industrielle a été que les moyens traditionnels de contrôle de la population ont été anéantis. D'où une explosion démographique, avec tout ce que cela implique. De plus, il faut tenir compte de la souffrance psychologique qui s'étend sur les pays occidentaux, supposés fortunés (voir paragraphes 44, 45). Personne ne sait ce qu'il résultera de la disparition de la couche d'ozone, de l'effet de serre, et autres problèmes environnementaux qui ne sont pas encore visibles. Et comme la prolifération nucléaire l'a montré, la technologie ne peut être tenue hors des mains des dictateurs irresponsables du Tiers-Monde. Avez vous envie de spéculer sur ce que l'Irak ou la Corée du nord feront de l'ingénierie génétique ?
  4. Oh, disent les technophiles, la science va arranger tout cela ! Nous allons éradiquer la famine, éliminer la souffrance psychologique, rendre tout le monde heureux et en bonne santé ! C'est ça... C'est ce qu'ils disaient il y a 200 ans. La Révolution Industrielle était censée éliminer la pauvreté, répandre le bonheur, etc. On en est loin du compte. Les technophiles sont désespérément naïfs (ou décevants) en ce qui concerne la compréhension des problèmes sociaux. Il sont incapables de comprendre (ou feignent de l'être) que de grands changements au sein d'une société, même s'ils semblent bénéfiques, conduisent à une chaîne d'autres changements, dont la plupart sont impossibles à prévoir (paragraphe 103). Le résultat en est la désagrégation de la société. Ainsi, il est probable que dans leurs tentatives pour mettre un terme à la pauvreté et à la maladie, rendre les personnalités dociles, heureuses, et ainsi de suite, les technophiles créeront des systèmes sociaux extrêmement troublés, peut-être plus qu'actuellement. Par exemple, les scientifiques se vantent de pouvoir combattre la famine en créant génétiquement de nouvelles plantes. Mais ceci permettra à la population humaine de continuer à s'accroître indéfiniment, et il est bien connu que la surpopulation conduit à une augmentation de stress et d'agressivité. C'est au moins un exemple de problème prévisible qui pourrait advenir. Nous pouvons en inférer que, comme l'a montré le passé, le progrès technique amène de nouveaux problèmes bien plus vite que les anciens ne peuvent être résolus. Ainsi, une longue et pénible période d'ajustements sera nécessaire aux technophiles pour débarrasser leur Meilleur Des Mondes de ses bugs (s'ils s'y arrivent). Dans le même temps la souffrance s'accroîtra. Il n'est donc pas certain du tout que de la survie de la société industrielle résultera moins de douleurs que de son effondrement. La technologie a placé la race humaine à un endroit d'où il n'est pas facile de trouver une issue facile.