Si quelqu'un s'imagine encore qu'il est possible de réformer le système de façon à préserver la liberté de la
technologie, qu'il considère les manières boiteuses et souvent inopérantes avec lesquelles notre société a essayé de
gérer d'autres problèmes sociaux, de loin plus simples et plus triviaux. Ainsi, le système a été incapable d'arrêter
la dégradation de l'environnement, la corruption dans la sphère politique, le trafic de drogue et autres.
Prenons les problèmes de l'environnement, par exemple. Ici les oppositions sont claires : les impératifs
économiques contre la volonté de préserver quelques-unes des ressources naturelles pour nos petits enfants n1Ici nous considérons seulement les conflits d'intérêt au sein de la majorité. Pour des raisons de simplicité, nous avons laissé de côté des idées "marginales" comme l'idée que la nature à l'état sauvage est plus importante que la prospérité économique de l'homme..
Mais sur ce sujet, nous avons seulement obtenu des inepties et des déclarations dilatoires de la part des gens qui
ont le pouvoir, et non pas un programme d'action clair et cohérent et nous ne pouvons qu'imaginer la montagne de
problèmes environnementaux qu'auront à gérer nos petits enfants. Les efforts pour résoudre les problèmes
environnementaux se réduisent à des chamailleries et à des compromis entre différentes factions, les unes en
position de force à un moment, les autres à un autre. L'énergie pour ce programme varie suivant les mouvements
d'humeur de l'opinion publique. Ce n'est pas un processus rationnel, ou c'en est un dont on ne peut espérer une
solution adéquate et satifaisante. La plupart des problèmes sociaux, s'ils veulent être "vraiment" résolus, sont
rarement ou jamais résolus de façon rationnelle et claire. C'est un processus confus où de nombreux groupes de
pressions poursuivant leurs intérêts propres n2Les intérêts particuliers ne sont pas forcément d'ordre matériel. Ils peuvent consister en la satisfaction d'un besoin psychologique, comme par exemple promouvoir une idéologie ou une religion. à
court terme arrivent (en général par chance) à un modus vivendi plus ou moins stable. En fait, les principes que
nous avons formulés dans les paragraphes 100-106 semblent nous indiquer qu'il est peu probable que les plans sociaux
rationnels à long terme puissent jamais prétendre au succès.
Ainsi, il apparaît que la race humaine a au mieux une capacité très limitée de résoudre même ses problèmes
sociaux les plus triviaux. Comment pourrait-elle résoudre le problème infiniment plus complexe et plus difficile que
constitue la réconciliation de la liberté et de la technologie ? La technologie a des avantages clairement mis en
avant, alors que la liberté est une abstraction dont la signification varie d'un individu à l'autre, et sa perte est
facilement dissimulée par la propagande et les discours mensongers.
Et notons cette importante différence. Il est possible que nos problèmes d'environnement (par exemple) soient un
jour résolus grâce à un plan clair et rationnel, mais il ne le seront que parce que cela rentre dans les intérêts à
long terme du système de résoudre ces problèmes. Mais ce n'est pas dans l'intérêt du système de préserver
la liberté ou l'autonomie des petits groupes. Au contraire, son intérêt est de contrôler le comportement humain sur
la plus large échelle possible n3Une réserve : Il est dans l'intérêt du système de permettre un certain degré de liberté dans des domaines bien particuliers. Par exemple, la liberté économique (avec les contraintes et limitations d'usage) a prouvé son efficacité pour la croissance économique. Mais seules des libertés contrôlées, circonscrites servent l'intérêt du système. L'individu doit toujours être maintenu en laisse, même si la laisse peut être parfois longue (voir paragraphes 94 et 97)..
Ainsi, si des considérations pratiques pourront éventuellement forcer le système à entreprendre une action pour la
préservation de l'environnement, de semblables considérations forceront le système à prendre en main de façon encore
plus drastique le comportement humain (de préférence par des moyens indirects qui dissimuleront l'effritement de la
liberté). Ce n'est pas juste notre opinion. D'éminents sociologues (par exemple James Q. Wilson) ont insisté sur
l'importance à "socialiser" la population de manière plus efficiente.