La limitation de la liberté est inévitable dans la société industrielle

Kaczynski, Theodore: La société industrielle et son futur, 1995
  1. Comme nous l'avons expliqué dans les paragraphes 65-67 et 70-73, l'homme moderne est englué dans un réseau de lois et réglementations, et ce fait est dû aux manœuvres de personnes inaccessibles qu'il ne peut influencer. Ce n'est pas accidentel ou le résultat de l'arbitraire de bureaucrates arrogants. Ceci est nécessaire et inévitable dans toute société technologiquement avancée. Le système se doit de régir de près les comportements humains. Au travail, les gens doivent faire ce qu'on leur dit de faire, sans quoi la production sombrerait dans le chaos. Les bureaucraties doivent fonctionner suivant des règles rigides. Permettre une certaine latitude aux bureaucrates de bas niveau désorganiserait le système et amènerait des dysfonctionnements dus aux différentes façons dont les bureaucrates exerceraient cette autonomie. Il est vrai que quelques limitations à la liberté pourraient être éliminées, mais en gros, la mise en coupe réglée de nos vies par de grandes organisations est nécessaire au bon fonctionnement de la société techno-industrielle. Le résultat en est un sentiment de perte de pouvoir pour l'individu moyen. Il est possible, toutefois, que les réglementations explicites seront progressivement remplacées par des moyens psychologiques qui nous ferons faire ce que le système veut que nous fassions (Propagande n1Quand quelqu'un approuve le dessein pour lequel une certaine propagande est utilisée, il la nomme généralement "éducation" ou emploie un quelconque autre euphémisme. Mais la propagande reste de la propagande quel que soit le but visé., techniques d'éducation, programmes de "santé mentale", ...).
  2. Le système doit forcer les gens à se comporter d'une manière qui s'éloigne de plus en plus des schémas naturels du comportement humain. Par exemple, le système a besoin de scientifiques, de mathématiciens, et d'ingénieurs. Il ne peut fonctionner sans eux. Les adolescents sont soumis à une très forte pression pour exceller dans ces domaines. Il n'est pas naturel qu'un adolescent passe le plus clair de son temps assis à un bureau absorbé par ses études.
  3. Un adolescent normal doit se dépenser en se colletant avec le monde réel. Parmi les sociétés primitives, les enfants apprenaient des choses en harmonie avec les pulsions naturelles de l'homme. Chez les amérindiens, par exemple, les garçons s'entraînaient à des occupations de plein air - le genre de choses qu'aiment les garçons. Mais dans notre société les enfants sont poussés vers les matières techniques, ce qu'ils font en rechignant.
  4. Dans toute société industrielle avancée, le destin d'un individu doit dépendre de décisions qu'il ne peut infléchir dans une large mesure. Une société technologique ne peut être fractionnée en petites communautés autonomes, car la production dépend de la coopération de grandes masses d'individus. Quand une décision concerne, disons, un million de personnes, chacun des individus concernés a, en moyenne, une part d'un millionième dans la prise de la décision. Ce qui arrive en pratique, c'est que les décisions sont prises par des officiels ou des dirigeants de firmes, ou par des experts techniques, et même quand il y a vote pour la prise d'une décision, le nombre des votants est tel que le vote d'un individu est insignifiant n2Les zélateurs de ce système sont friands de pouvoir citer quelques élections où le sort s'est décidé à une ou deux voix près. Mais de tels cas sont rares.. Ainsi la plupart des individus sont incapables d'exercer une influence sur les décisions importantes qui affectent leurs vies. Il n'y a aucun moyen concevable de remédier à cela dans une société technologiquement avancée. Le système essaie de "résoudre" ce problème par le biais de la propagande de façon à ce que les gens veuillent ces décisions prises pour eux, mais même si cette "solution" était complètement satisfaisante en rendant les gens heureux, ce serait dégradant.
  5. Les conservateurs et quelques autres se font les défenseurs de "l'autonomie locale". Les petites communautés ont été autonomes, mais cette autonomie devient de moins en moins possible du fait que les petites communautés sont prisonnières et dépendantes de systèmes à grande échelle comme les services publiques, les réseaux informatiques, le réseau autoroutier, les mass media, la sécurité sociale. Une telle offensive contre l'autonomie résulte du fait que la technologie appliquée dans un domaine affecte la vie des gens dans tous les domaines. Ainsi l'utilisation de produits chimiques ou de pesticides près d'un ruisseau peut contaminer l'eau potable des centaines de kilomètres en aval, et l'effet de serre affecte l'ensemble la planète.
  6. Le système ne peut pas exister pour satisfaire les désirs des hommes. Au contraire, c'est le comportement des hommes qui est modifié pour s'adapter à ceux du système. Cela n'a rien à voir avec l'idéologie sociale ou politique qui prétend contrôler le système technologique. C'est le fait de la technologie, car le système est soumis non pas à une ou des idéologies, mais aux contraintes techniques n3"Aujourd'hui dans les pays technologiquement avancés, la vie des gens est très semblable, en dépit des différences religieuses, politiques ou géographiques. La vie de tous les jours d'un caissier chrétien à Chicago, d'un caissier bouddhiste à Tokyo, d'un caissier communiste à Moscou est bien plus proche que celle d'un homme ayant vécu il y a un millier d'années. Ces similarités sont dues à une technologie commune" L. Sprague de Camp, "Les anciens ingénieurs", Ballentine, page 17. Les vies de ces 3 caissiers ne sont pas identiques. L'idéologie peut avoir son mot à dire. Mais toutes les sociétés industrielles, pour survivre, doivent évoluer A PEU PRES de la même façon.. Evidemment, le système satisfait bon nombre de désirs humains, mais en général, il ne le fait que dans la mesure où il retire avantage à le faire. Ce sont les besoins du système qui sont primordiaux, pas ceux de l'être humain. Par exemple, le système fournit de la nourriture à la population, car il ne pourrait fonctionner si tout le monde mourrait de faim ; il pourvoit aux besoins psychologiques des gens puisque cela lui est avantageux, car il ne pourrait pas non plus fonctionner si trop de personnes devenaient dépressives ou rebelles. Mais, pour des raisons imparables, évidentes et impérieuses, il doit exercer une constante pression sur les gens de façon à modeler leurs comportements suivant ses besoins. Trop de déchets s'accumulent ? Le gouvernement, les media, le système éducatif, les défenseurs de l'environnement, tout le monde nous inonde d'une propagande en faveur du recyclage. Besoin d'un personnel plus techniquement qualifié ? Un choeur exhorte les gamins à suivre des filières scientifiques. Personne ne se pose la question de savoir s'il n'est pas inhumain de forcer des adolescents à passer le plus clair de leur temps à étudier des matières qu'ils détestent en majorité. Quand les ouvriers qualifiés sont mis au chômage par les nouvelles technologies, et doivent se recycler, personne ne se demande si ce n'est pas humiliant pour eux de se retrouver dans pareille situation. Il est tout simplement tenu pour évident que tout le monde doit se plier aux exigences technologiques et, ce, pour une bonne raison : si les besoins des gens passaient avant les nécessités technologiques, il y aurait des problèmes économiques, du chômage, une récession, voire pire. Le concept de "santé mentale" dans notre société est principalement défini par la capacité d'un individu à se comporter en accord avec les besoins du système, et, ce, sans manifester de signes de stress.
  7. Les efforts pour tenter d'accorder de l'importance au sens de l'existence et à l'autonomie à l'intérieur du système ne sont rien de plus qu'une plaisanterie. Par exemple une compagnie, au lieu de faire réaliser à chacun de ses employés une partie d'un catalogue, leur fait réaliser à chacun un catalogue dans son intégralité, cela étant supposé leur donner plus de motivation et d'autonomie dans leur travail, mais, en pratique, cela ne peut être réalisé que sur petite échelle et dans tous les cas, les employés ne se voient pas accorder l'autonomie pour se réaliser - leurs efforts personnels ne peuvent être mis à profit pour ce qui les intéresse, mais uniquement pour accomplir les buts du patron qui sont la survie et la croissance de la société. Une société déposerait son bilan si elle agissait autrement. De même, dans un système socialiste, les travailleurs doivent prodiguer leurs efforts pour atteindre les buts de l'entreprise, sans quoi cette entreprise ne remplirait pas sa fonction vis à vis du système. Une fois de plus, pour des raisons purement techniques, il n'est pas possible pour la majorité des individus ou des petits groupes d'obtenir une véritable autonomie dans une société industrielle. Même un indépendant a généralement une autonomie limitée. En dehors de la nécessité de se conformer aux réglementations gouvernementales, il doit s'insérer dans le système économique et se plier à ses contraintes. Par exemple, lors de l'émergence d'une nouvelle technologie, l'indépendant est souvent obligé de l'adopter, qu'il le veuille ou non, s'il veut demeurer compétitif.