Passage sur le disque solaire d'un essaim de corpuscules, vu à l'observatoire de Zacatecas (Mexique)

José Arbol y Bonilla: L'Astronomie, vol. 4, pp. 347-350, septembre 1885
L'article d'origine
L'article d'origine

J'ai institué à l'Observatoire de Zacatecas, situé à 2502 m au-dessus du niveau de la mer, l'observation quotidienne de l'état de la surface solaire, en dessinant par voie directe et par projection les taches, facules et granulations, ainsi que les protubérances de la chromosphère solaire, au moyen du spectroscope.

A cet effet, j'adapte à l'équatorial de 0,16 m d'ouverture un appareil de projection qui reçoit sur une feuille de papier une image du Soleil de 0,250 m de diamètre, le champ de la lunette ne se projetant lui-même que sur une surface peu éclairée de 0,260 m. Lorsque le disque solaire offre un certain intérêt, je prends des photographies de 0,067 m de diamètre, au moyen de plaques instantanées au gélatinobromure d'argent.

La coupole de l'Observatoire a de petites fenêtres et d'épais rideaux noirs, de sorte qu'il ne pénètre à travers l'objectif que l'image seule du Soleil. Cette disposition permet de noter toujours avec précision et clarté les facules et les moindres détails des taches ainsi que les granulations, grâce à la transparence de l'atmosphère, à l'altitude à laquelle se trouve situé l'Observatoire, sous un ciel tropical (22°46'34'9 de latitude Nord).

Le dimanche 12 août 1883 à 08 h, je commençais à dessiner les taches solaires, lorsque j'aperçus tout à coup un petit corps lumineux qui pénétrait dans le champ de la lunette, se dessinait sur le papier me servant à reproduire les taches et parcourait le disque du Soleil en se projetant comme une ombre presque circulaire.

Je n'étais pas revenu de ma surprise que le même phénomène se reproduisit de nouveau et cela avec une telle fréquence que, dans l'espace de , je pus compter jusqu'à 283 corps traversant le disque du Soleil.

Peu à peu les nuages génèrent l'observation qui ne put être recommencée qu'au moment du passage du Soleil par le méridien et seulement durant 40 mn ; pendant cet intervalle, on compta de nouveau le passage de 48 autres corps. Les traces suivies par ces corps indiquent un mouvement direct de l'Ouest à l'Est plus ou moins incliné au Nord ou au Sud du disque. En quelques minutes d'observation, j'ai noté que ces corps, qui paraissaient noirs et sombres, les uns parfaitement ronds et les autres plus ou moins élargis, en se projetant sur le disque solaire, offraient des images lumineuses en quittant les bords et en traversant le champ de la lunette.

Figure 118 - Lignes suivies par les corpuscules devant le disque solaire. PP' Cercles de déclinaisons. DD' Cercles parallèles. EO Equateur solaire. NS Diamètre polaire, diamètre solaire apparent = 1889". AA', BB' zone de la trajectoire des corpuscules sur le disque solaire. Les lignes intermédiaires ont été suivies par plusieurs corpuscules.
Figure 118 - Lignes suivies par les corpuscules devant le disque solaire.    PP' Cercles de déclinaisons. DD' Cercles parallèles. EO Equateur solaire.    NS Diamètre polaire, diamètre solaire apparent = 1889". AA', BB' zone de    la trajectoire des corpuscules sur le disque solaire. Les lignes intermédiaires ont été suivies par plusieurs    corpuscules.

Les intervalles des passages étaient variables : tantôt il en passait 1 ou 2, n'employant qu'un tiers, une 1/2 s, au plus 1 s pour traverser le disque solaire, et 1 ou 2 mn s'écoulaient avant qu'il en apparût d'autres ; tantôt il en passait 15 ou 20 presque à la fois, de sorte qu'il était difficile de les compter. J'ai pu fixer la trajectoire de plusieurs de ces corps sur le disque solaire, en notant l'entrée et la sortie sur le papier qui me servait à dessiner les taches; ce papier, ainsi que la lunette de l'équatorial, suivait, au moyen d'un mouvement d'horlogerie, le mouvement diurne apparent du Soleil sur la voûte céleste. La figure 118 est une copie réduite du dessin que j'ai fait du disque solaire ce jour-là (de 250 mm de diamètre) avec les trajectoires des corps et les taches solaire.

Prenant souvent des photographies du Soleil, quand son disque présente de notables taches et facules, je me mis en mesure de photographier également le phénomène rare et intéressant du passage de ces corps par le disque solaire.

Figure 119 - Photographie du Soleil et de l'un des corpuscules
Figure 119 - Photographie du Soleil et de l'un des corpuscules

A cet effet, je remplaçai, dans le même équatorial, l'objectif de Om,16 par un autre d'égale force, mais à foyer chimique, auquel j'adaptai l'oculaire et la chambre photographique. Après divers essais pour mettre parfaitement au point les corps, je réussis à prendre diverses photographies, dont j'adresse à l'Astronomie la plus intéressante. Pendant que je prenais ces photographies, un aide comptait les corps au chercheur de l'équatorial. La photographie a été prise au collodion humide au 1/100 s. Cette rapidité ne me laissa pas le temps de filtrer et de préparer convenablement les bains : aussi le négatif est-il un peu voilé par le révélateur. L'image du Soleil n'est pas au foyer, mais bien celle du corps, qui m'offrait à ce moment plus d'intérêt.

Bien que, dans la projection et à simple vue, tous les corps parussent ronds ou sphériques, on remarque dans les diverses photographies que les corps ne sont pas sphériques, mais pour la plupart de formes irrégulières.

J'ai dit que, dans la projection du champ de la lunette, ces corps paraissaient lumineux et dégageaient comme des trainées brillantes; mais qu'en traversant le disque solaire, ils paraissaient opaques. En observant avec attention la photographie et le négatif, on note un corps entouré d'une nébulosité et de traînées obscures qui, dans le champ de la lunette, et en dehors du disque, paraissaient brillantes. Cela me ferait croire que les trainées brillantes au passage du corps par le disque absorbaient la lumière actinique du Soleil ou diminuaient sa puissance photogénique.

Dans l'après-midi, les nuages m'interdirent toute observation.

Je pris donc mes mesures et établis tout un plan d'observations dans le cas où le phénomène se reproduirait le jour suivant.

Le le lendemain, les 2 premières heures du jour m'offrirent un ciel nuageux jusqu'à 08:00 ; puis les puages s'effacèrent un peu et je pus observer. Aussitôt le même phénomène m'apparut de nouveau, et durant les 45 mn d'observation que nous permit l'état du ciel, nous comptâmes 116 corps traversant le disque solaire.

Aussitôt après l'observation du la veille, j'avais télégraphié aux Observatoires de Mexico et de Puebla pour les prier d'observer ce phénomène, mais il fut invisible de ces Observatoires. En vue de vérifier d'une façon indirecte la distance approximative de cet essaim de corps, je mis avec soin au point le chercheur de la lunette, l'équatorial et une lunette a miroir argenté de Foucault de 0,10 m de diamètre, en les dirigeant sur le disque solaire et sur les corps ; en outre, j'eus dans la nuit l'occasion de les diriger également vers les planètes et la Lune, qui était depuis depuis 2 jours dans son 1er quartier, sans changer le foyer, et la Lune seule se voyait presque au foyer.

Cette circonstance, jointe à l'invisibilité du phénomène à Mexico et à Puebla ou ailleurs, me fait croire que ces corps étaient assez proches de la Terre, à une moindre distance que la Lune, et que leur parallaxe considérable était cause qu'à Mexico et à Puebla ils étaient projetés hors du disque solaire.

Note de la Rédaction. - L'observation de M. Bonilla est fort intéressante, mais n'est pas facile à expliquer. La date des dimanche 12 et le lendemain fait songer au courant d'étoiles filantes de cette époque; mais il serait singulier qu'on n'eût rien vu à Mexico ni à Puebla. Serait-ce des oiseaux ? Nous avons examiné avec beaucoup d'attention la photographie dont la figure 119 est une reproduction : le corps noir est ovale, précédé et suivi de légères trainées ; sa longueur est de 0,9 mm, sa largeur de 0,6 mm à 0,7 mm, le diamètre solaire est de 66 mm, (l'astre n'est pas au foyer, mais le corpuscule), En dehors du Soleil, les trainées paraissaient brillantes. - Nous serions portés à croire qu'il s'agit là d'oiseaux, d'insectes, ou de poussières supérieures, en tout cas de corpuscules appartenant à notre atmosphère.