La recherche d'une explication

La vague des observations d'ovni s'est prolongée en Belgique jusqu'en 1993, avec une décroissance progressive et des rebondissements passagers. La SOBEPS menait des enquêtes et malgré une vie professionnelle chargée, je pour suivais l'étude de la détection radar. À cause de l'intervention des F-16, j'ai eu accès aux données des deux radars militaires au sol et au contenu des enregistrements radar ramenés par le second F-16. Il fallait pour cela que j'obtienne l'autorisation de Guy Coëme, Ministre de la Défense Nationale à cette époque. Il me l'a accordée, en disant "je suis pour la transparence !". Je tiens à le souligner parce que je pense que cela relève d'une attitude personnelle, mais on sait également que de nombreuses observations d'ovni ont eu lieu partout dans le Monde au cours des 50 dernières années, sans que les milieux politiques et militaires aient favorisé ou simplement permis une étude approfondie des faits observés.

Il faut donc saluer l'ouverture d'esprit et le sens de l'objectivité dont les autorités civiles et militaires ont fait preuve en Belgique. Cela fait honneur à notre pays. La Force Aérienne a été courageuse, parce qu'il fallait non seulement être prêt à affronter une technologie inconnue, mais aussi à pouvoir faire face à une opinion publique où il est plutôt de bon ton de ne pas montrer d'intérêt pour les ovnis. Le Général De Brouwer a reconnu que "la peur du ridicule est réelle... Certains milieux étaient étonnés et incrédules de voir une instance officielle s'occuper d'une affaire qui, à première vue, semblait absurde" (I.484). Un des objectifs de cet article est de montrer qu'en réalité, il est seulement absurde de refuser un examen des faits observés... à cause de préjugés.

Il suffit de chercher la vérité, quel que soit le résultat auquel on pourrait aboutir. Ceci s'applique en particulier à la détection des OVNI et/ou aux perturbations des radars, encore inconnues ou mal comprises. J'ai écrit deux rapports à ce sujet s1A. Meessen : "La détection radar" 1991 (I. 351-396). "Observations, analyses et recherches" 1994 (II,387-432)., mais il convient de refaire le point, en ajoutant plus de détails techniques. En 1991, j'ai mis en évidence le fait que les échos anormaux qui avaient été détectés par les radars militaires au sol et conduit à la montée des F-16 étaient d'origine météorologique (I.379). Il s'agissait également d'un effet des variations de l'humidité atmosphérique, mais cette fois-ci de variations brusques, dues à des masses d'air humide localisées. Les ondes radar peuvent alors être renvoyées assez fortement, quand il y a des turbulences locales. C'était connu pour les dômes des "bulles de convection", pouvant se trouver dans l'air bien qu'elles soient optiquement invisibles (I.386).

Les enregistrements radar des F-16 posaient cependant des problèmes beaucoup plus complexes. Il fallait partir du fait que le système radar des F-16 est très performant. Il permet de suivre une "cible" de manière presque continue, au lieu de l'éclairer seulement à des intervalles de 12 secondes, comme les radars au sol. Il mesure non seulement la direction et la distance, mais également la vitesse d'un objet par rapport au F-16 et cela de manière instantanée. Cela se fait par effet Doppler et permet une élimination particulièrement efficace des échos anormaux. Sachant que les radars au sol avaient capté des échos venant de masses d'air humide, je pouvais me dire, bien sûr, que c'était également possible pour les radars des F-16, mais ces échos auraient dû être éliminés par les filtres électroniques.

D'après les enregistrements, les F-16 avaient même détecté des "objets" qui pouvaient se déplacer à très grande vitesse par rapport au sol, tandis que les masses d'air humide ne se déplaçaient que lentement, à cause du vent. Il y avait donc une contradiction. Ne pouvant pas résoudre ce problème, mais sachant bien qu'il fallait expliquer l'ensemble des faits observés, je me suis tourné vers les observations visuelles des gendarmes. Je les ai rencontrés et interrogés de manière répétée, mais je ne trouvais pas de faille dans leurs récits et je ne pouvais pas affirmer simplement qu'ils avaient vu des étoiles (I.388). Les mouvements et les changements de couleur dépassaient de loin ce qui est permis par les réfractions atmosphériques habituelles. Les turbulences ne conduisent qu'à des scintillations. J'ai donc tiré la conclusion qui semblait inévitable, si l'on voulait être franc et honnête : à ce moment, l'ensemble des données était seulement compatible avec l'hypothèse des ovnis.

Je continuais cependant ma recherche de la vérité. Je me rendais régulièrement à l'EWC (electronic war center) de la Force Aérienne belge, où l'on poursuivait le relevé et l'analyse des données enregistrées par le second F-16 (I.369). L'étude Gilmard-Salmons2 F. Gilmard : "Analyse des observations, le radar F-16 et résultats du modèle", rapport interne (confidentiel) d'une étude effectuée au Centre de Guerre Electronique sous la direction du colonel Salmon, mai 1991. s'est terminée déjà avant l'été 1991. Elle a précisé l'énigme, mais elle ne l'a pas résolue. Je m'étais limité dans mon premier rapport s3Ibid à une présentation synthétique des données, en construisant des trajectoires par rapport au F-16. Je n'utilisais que des valeurs enregistrées (azimut, altitude et distance) aux instants où elles avaient été modifiées (I.368). Elles variaient en effet de manière discontinue, parce que l'ordinateur retenait la dernière valeur jusqu'à ce qu'une nouvelle valeur avait été mesurée ou calculée.

Le Lt. Gilmard et le Mj. Salmon, maintenant Lt. Col. à l'Ecole Royale Militaire, ont construit des trajectoires lissées par rapport au sol (II.fig.10.4), en tenant compte des virages du F-16 et en utilisant un modèle mathématique d'interpolation. M. Gilmard a mis en évidence que les sources des échos détectés avaient des localisations assez variables pour différents verrouillages et que certaines des valeurs affichées étaient dues à des extrapolations effectuées par l'ordinateur de bord ou plus exactement, par le filtre de Kalman. Le nombre des mesures réelles était donc réduit, mais il y en avait eu, sans que l'on sache ce qui avait été détecté et mesuré. C'était mon point de départ, quand j'ai dû rédiger le 2nd rapport s4A. Meessen : "La détection radar" 1991 (I. 351-396). "Observations, analyses et recherches" 1994 (II,387-432)..

En 1994, j'ai trouvé une solution, expliquant l'ensemble des faits observés d'une manière rationnelle et cohérente. L'idée essentielle était que l'effet Doppler est modifié quand les ondes radar sont renvoyées par une masse d'air humide déformable. Cela rendait compte (1) des échos anormaux des radars militaires au sol, (2) des données des radars aéroportés et (3)des observations visuelles des gendarmes. Tout cela résultait de conditions météorologiques très exceptionnelles. Je le savais déjà pour les radars au sol. Pour les radars des F-16, cela résultait du fait que les "nuages invisibles" sont des cibles molles qui se comportent autrement que les cibles dures habituelles (II.406). Les gendarmes avaient observé des réfractions atmosphériques en lumière visible, parce que des cellules d'air humide et chaud, isolées les unes des autres, s'interposaient parfois entre les gendarmes et le ciel étoilé (II.408).

Quatre ans se sont écoulés et personne n'a trouvé mieux, mais ma proposition a été contestée d'une manière virulente par Jean-Pierre Petit s5J.P. Petit : "Phénomène de rumeur ou problème scientifique ?" Le magazine des parallèles, Incroyable et scientifique, n° 9, sept.oct. 64-73.1997.. Il a affirmé que l'explication en termes de "masses d'air turbulentes et humides... ne tient pas la route". Le professeur Schweicher l'aurait montré, mais cela n'est pas exact. M. Petit continue : "Je suis moi-même de cet avis, alors, pourquoi Auguste Meessen a-t-il produit à la télévision, sans la moindre justification scientifique, une interprétation aussi absurde ?" M. Petit n'a pas précisé pourquoi elle le serait, à son avis, mais étant persuadé que les F-16 ont dû détecter des OVNI, il n'a pas hésité à me mettre dans une catégorie de personnes, dont il dit qu'ils "manquent de compétence,... sont manipulés par des services secrets, ou travaillent à leur solde dans un but de désinformation".

La cause de cette réaction est à chercher ailleurs s6A. Meessen : "Analyse critique des théories cosmologiques de Jean-Pierre Petit", Inforespace, 94, nov. 1996, 25-42 - Réponse de Jean-Pierre Petit, directeur de recherche au CNRS. Toutefois, il est utile de revenir sur l'explication proposée, indépendamment de cette agression, scientifiquement non justifiée. On ne peut pas tout expliquer en quelques minutes à la télévision. Mon argument était d'ailleurs contenu dans le second rapport5, mais dans un livre de portée générale, où d'autres aspects étaient prioritaires, je ne pouvais pas entrer non plus dans trop de détails techniques. La publication du second livre semblait d'ailleurs être tellement urgente que même l'étude que je menais à ce moment sur la photo de Petit-Rechain n'y a pas été incluse. J'en ai présenté les résultats au cours de conférences publiques quand ce livre est sorti de presse. J'y reviendrai dans le prochain numéro d'Inforespace.

La solution du problème posé combine trois éléments différents : (1) des effets météorologiques, (2) le fonctionnement du radar des F-16, associé à une révision du concept des vitesses Doppler et (3) l'analyse du contenu des enregistrements radar. Il apparaît que les filtres électroniques du système radar des F-16 ne pouvaient pas éliminer les échos anormaux qui nous intéressent. Ces aspects seront traités dans les trois premiers chapitres. J'y ajouterai (4) quelques implications pour l'étude du phénomène ovni.