La vitesse Doppler d'un nuage invisible est modifiée

En 1994, j'ai réalisé que le radar des F-16 peut être induit en erreur, parce que le concept usuel de l'effet Doppler n'est pas assez général. On a l'habitude de considérer un réflecteur unique mais la rétrodiffusion des ondes radar par un nuage invisible conduit à une situation plus compliquée. Examinons ce problème d'une manière simple, mais rigoureuse. Si l'on préfère, on peut passer directement au titre suivant, bien que l'argumentation que je présente ici soit capitale pour évaluer les faits observés.

Considérons un faisceau radar qui traverse une suite de surfaces où l'humidité relative de l'air varie pratiquement de manière discontinue. Ces surfaces sont situées à des distances L1, L2, L3,.. LN du radar (figure 9). Nous supposons qu'elles sont perpendiculaires à la direction du faisceau, que l'humidité est homogène dans chacune des portions intermédiaires et qu'elle est négligeable devant L1 et derrière LN. Ce modèle est simple et met en évidence tout ce qui est essentiel. Comme l'indique la figure 9, l'onde incidente subit une réflexion partielle à toutes les interfaces.


Figure 9 : Réflexions partielles à des surfaces où la vitesse de propagation varie brusquement.

La vitesse de propagation des ondes radar est constante dans chacune des portions considérées. La grandeur de la vitesse y est donnée par c/n, où c est la vitesse des ondes électromagnétiques dans le vide, tandis que n est l'indice de réfraction. On peut dire que n = 1+e, où e est très petit par rapport à 1, mais proportionnel à la densité des molécules d'eau. A chacune des interfaces où le degré d'humidité varie brusquement, on doit considérer une onde incidente, une onde réfléchie et une onde transmise. Les intensités respectives sont déterminées par deux conditions de raccordement, exprimant le fait que l'énergie et le flux d'énergie doivent avoir une valeur unique.

Considérons ce qui se passe à la distance Ls. Devant cette interface, l'indice de réfraction est 1+es et derrière cette interface, il est 1+es+1. L'amplitude de l'onde réfléchie est alors Bs = asA, où as est égal à la moitié de la différence entre les indices de réfraction devant et derrière l'interface. Ceci peut être démontré à partir des conditions de raccordement pour une incidence normale et n » 1. Il en résulte que as = (es-es+1) /2. Bien que ce coefficient soit très petit, nous le retenons, puisqu'il ne faut pas l'ajouter à un terme beaucoup plus grand. Ce n'est pas le cas pour l'onde transmise. Sa modification est négligeable. En pratique, As = A et cela pour chacune des interfaces. Les ondes réfléchies traversent également les interfaces sans modifications, bien qu'en général, il faudrait considérer des réflexions multiples. Le radar reçoit donc la somme des ondes réfléchies aux différentes interfaces.

Le résultat dépend des intensités des "ondes partielles" et de leurs phases respectives. En général, il y aura des interférences. L'onde réfléchie en Ls aura parcouru une distance égale à 2Ls, en effectuant un aller-retour. La vitesse de propagation est partout pratiquement égale à c. Le déphasage de l'onde réfléchie en Ls par rapport à l'onde émise est donc égal à fs = (w/c) 2Ls. Si l'on pose A = 1, on peut représenter chacune des ondes réfléchies par un petit vecteur de grandeur as, tournant à la même vitesse angulaire w que le vecteur caractéristique de l'onde émise, mais avec un déphasage fs. Tous ces vecteurs s'ajoutent les uns aux autres, comme le montre la figure 10.


Figure 10 : Les ondes réfléchies peuvent interférer d'un manière assez constructive.

Les petits vecteurs pourraient être très nombreux et juxtaposés dans n'importe quel ordre, mais pour la clarté j'en ai représenté seulement un petit nombre et je les ai placés dans un ordre tel que l'angle de phase augmente progressivement. La somme de tous ces vecteurs est un vecteur de grandeur r et de phase f. Le radar ne fait pas de différence entre la somme d'un grand nombre d'ondes réfléchies à différents endroits et une onde renvoyée par un réflecteur unique. Il suffit maintenant de considérer la figure 10, pour que tout ce qui est essentiel "saute aux yeux".

Il faut que la grandeur r du vecteur résultant soit assez grande pour que le radar puisse détecter le signal renvoyé. Ce ne sera pas toujours le cas, puisque les petits vecteurs peuvent avoir des orientations quelconques. Ceci s'applique également à des installations radar au sol. Les radars militaires sont dotés d'un faisceau assez fin, mais ils ont une grande sensibilité ou capacité de discrimination par rapport au bruit. Ils captent donc ces échos, mais pas à chaque tour de l'antenne. Les radars aéroportés les captent également de temps en temps. L'intensité du signal reçu sera maximale quand tous les petits vecteurs sont alignés, mais la vitesse Doppler dépend de la dérivée df/dt et donc des variations instantanées des orientations des petits vecteurs!

Considérons le cas d'une seule masse d'air humide homogène, caractérisée par n = 1+e. Il y aura des réflexions partielles à l'entrée (avec a1 = -e/2) et à la sortie (avec a2 = e/2). Le résultat de la superposition est nul quand les deux petits vecteurs sont opposés, ce qui arrive quand f1 = f2 = 0 (ou un multiple entier de 21). La somme est maximale par contre quand f1 et f2 diffèrent de 1 (ou d'un multiple impair de 1). D'une manière générale, quand il y a un grand nombre de réflexions partielles, la phase f du vecteur résultant sera très sensible aux phases fs des petits vecteurs. Cela peut s'écrire de manière analytique, puisque le dessin de la figure 10 est équivalent à la somme

r eif = a1eif1 + a2eif2 +... + aneifn = Ss aseifs.

S'il suffisait de considérer la somme des coefficients as, on pourrait dire qu'elle est nulle (puisque qu'on monte ou descend à chaque pas pour revenir finalement à zéro), mais il faut tenir compte des valeurs de fs. La vitesse Doppler v est définie par df/dt = (2v/c) w. Si l'on suppose que les coefficients as restent pratiquement constants, tandis que les longueurs Ls varient à la vitesse vs, il suffit de dériver l'expression ci-dessus pour voir que la vitesse Doppler est déterminée par la relation

v (Ss aseifs) = Ss vsaseifs.

Si toutes les vitesses étaient identiques (vs = v'), il en résulterait que la vitesse instantanée serait égale à la vitesse du déplacement global (v = v'). C'est le cas d'une "cible dure", mais nous considérons celui d'une "cible molle", susceptible de se déformer en de nombreux endroits. La vitesse Doppler d'un nuage invisible n'est donc pas nécessairement égale à sa vitesse moyenne.