Jacques Vallée – Un homme aux nombreuses dimensions

Sub Rosa n° 4, mars 2006
Jacques Vallee
Jacques Vallee

Il existe peu de gens apportant plus de crédibilité au domaine de la recherche sur les ovnis que le Dr Jacques ValléeVallee, Jacques. En tant que l'un des enquêteurs les plus respectés sur le phénomène au cours de plus de 4 décennies, il a peut-être la plus large expérience et connaissance du sujet que n'importe quelle personne vivant aujourd'hui. Cependant, le Dr ValléeVallee, Jacques apporte bien plus au domaine que sa seule expérience – il apporte aussi le crédit d'un véritable homme de la Renaissance.

Né en France, il a obtenu une licence de mathématiques à la Sorbonne et une maîtrise d'astrophysique à l'Université de Lille. Après être venu aux USA comme astronome à l'Université du Texas – où il a co-developpé la 1ʳᵉ carte informatisée de Mars – le Dr ValléeVallee, Jacques est plus tard parti à l'Université Northwestern où il a reçu un doctorat en informatique.

Il partit travailler pour SRI International et l'Institut pour le Futur, où il dirigea le projet pour mettre en place le 1er système de conférence sur réseau du monde en tant qu'Investigateur Principal sur Arpanet, le prototype de l'Internet. Il est depuis devenu un capital-risqueur à succès, et est actuellement Partenaire Général d'Euro-America, un groupe de la Silicon Valley qui investit dans l'Amérique du Nord et l'Europe, principalement en haute-technologie.

En mai 1955, âgé de 16 ans, le Dr ValléeVallee, Jacques observe un ovni pour la 1ʳᵉ fois au-dessus de sa maison de Pontoise. 6 ans plus tard en 1961, alors qu'il travaille comme astronome, il est témoin de la destruction de bandes sur lesquelles avaient été enregistrées le suivi d'objets inconnus orbitant autour de la Terre. Son intérêt pour le phénomène ovni devient une carrière (of sorts) lorsqu'il rejoint le Dr J. Allen Hynek dans la recheche sur le phénomène ovni pour l'enquête bien connue de l'U.S. Air Force, le projet Blue Book. Sa contribution au domaine fut reconnue par Steven Spielberg dans Rencontres du 3ᵉ Type, dans laquelle le scientifique français joué par François Truffaut fut modelé à partir de lui.

Depuis les années 1960s, le Dr Vallée a écrit une série de livres fracassants sur le phénomène ovni. Son livre de 1969, Passport to Magonia fut capital pour changer la perspective sur les observations et expériences anormales, déterminant l'hypothèse que le phénomene était simplement la dernière incarnation de quelque chose qui s'est produit tout au long de l'histoire humaine (expliqué dans les ères passées comme des fées, démons et signes de Dieu). Le rejet du Dr. Vallée de l'explication "tôle et boulons" des ovnis (en tant que vaisseaux interstellaires) lui ont valu une réception hostile de certaines parties du domaine de recherche, l'amenant à se décrire lui-même à un moment comme "hérétique parmi les hérétiques". En 1979 il challengea à nouveau la communauté ufologique avec la publication de son livre Ovnis : La Grande Manipulation, dans lequel il avertissait contre les dangers de cultes liés aux ovnis, la tromperie gouvernementale, et la nature trickster du phénomène.

Le Dr ValléeVallee, Jacques continue d'enquêter sur les "phénomène en marge" sur son propre temps, autour du monde. Il occupe aussi une place dans le comité de conseil scientifique de Bigelow Aerospace à Las Vegas, dans le Nevada.


Merci beaucoup de prendre le temps de parler avec nous Dr Vallée. Tout d'abord, la question évidente – vous n'avez pas publié de livres depuis la trilogie Dimensions/Confrontations/Revelations, et votre mémoire fascinant des premiers jours de la recherche ufologique, Science Interdite, au début des années 1990s. Avez-vous été impliqué dans des recherches ufologiques au cours de la dernière décennie, et si oui, prévoyez-vous d'en écrire plus sur le sujet ?

Effectivement, je n'ai publié aucun livre sur les ovnis depuis Fastwalker, il y a 10 ans de cela, mais j'ai publié plusieurs livres sur d'autres sujets, traitant de technologie, finance et de l'histoire d'Internet. Je termine actuellement la traduction anglaise d'une nouvelle intitulée Stratagèmes, qui vient tout juste d'être publiée à Paris. Dans la situation actuelle, je trouve plus facile de dire ce que j'ai à dire sous forme de fiction.

Jacques Vallee
Jacques Vallee

Vos nouvelles de fiction n'ont en fait pas reçu un très grand écho, au moins dans le monde anglophone – vous avez bien sûr auparavant gagné le prix Jules Verne pour un travail de science-fiction. La trame de Stratagèmes semble contenir de nombreux éléments autobiographiques (OVNIs, voyages au Brésil, contacts dans le monde de la technologie, mention de manipulation par des agences de renseignement) – trouvez-vous que l'écriture de fiction vous permet une sorte de publication "cathartique" de vos processus de pensée, libéré des restrictions d'avoir à présenter un argument raisonné (comme dans un livre de non-fiction) ? Et, quand pouvons-nous nous attendre à voir see Stratagèmes en anglais ?

Un livre de non-fiction sur les phénomènes paranormaux doit décrire les faits disponibles et explorer les hypothèses potentielles, mais ne vous permet pas de développer un scénario complet. Dans une nouvelle comme Stratagèmes, nous pouvons explorer une interprétation de ce qui se passe, du début à la fin, et voir où cela peut mener, à travers des personnages qui y sont pleinement impliqués. Ceci suggère des idées complètement nouvelles. J'ai une traduction anglaise complète, mais je n'ai qu'entâmé le processus de recherche d'un éditeur aux U.S.

Quelles sont vos réflexions sur l'état de l'ufologie en 2006 ?

C'est un capharnaüm. De la recherche valable est en cours, mais elle est menée par des particuliers travaillant presque sans ressources financières ou logistiques. Les quelques scientifiques qui sont activement impliqués forment une nouvelle version du vieux "Collège Invisible", communiquant de manière privée pour rester à l'écart du sensationalisme qui a pris le pas sur le domaine. Quant à ce qui reste des groupes organisés, ils ne jouent pas le rôle de disséminer l'information, mener des recherches de terrain ou encourager la critique et le débat ouvert. Ils sont juste un peu plus que ces lobbies de défense d'un point de vue particulier. C'est désolant, parce que les périodes de faible activité ovni comme celle actuelle présentent la meilleure opportunité de faire de la recherche calmement. En centrant tout de la discussion du phénomène sur des questions à forte charge, mais ayant fait l'objet de piêtres recherches comme Roswell et les enlèvements, les ufologues ont perdu toute crédibilité, se sont alienés le public scientifique et ont ouvert les vannes de centaines de sites Internet où circulent les rumeurs les plus folles. Pas la peine de se demander pourquoi les chercheurs sérieux se cachent !

Pour que les choses soient claires – d'une autorité dans le domaine, à ceux moins familiers avec la recherche ufologique – quels sont les 3 meilleurs cas auxquels nous devrions consacrer notre attention, à votre avis ? À l'inverse, quels sont les cas pour lesquels on gâche du temps et des ressources (d'après vos commentaires ci-dessus, je suppose que Roswell est l'un d'entre eux ?).

Je n'aime pas trop l'idée de baser la réalité du phénomène sur quelques cas qu'on qualifierait de "meilleurs". On doit commencer par une évaluation globale des schémas présents dans un grand nombre de cas où des méprises courantes ont été écartées. À cette fin, j'ai développé une famille de 4 catalogues informatisés sur diverses parties du monde, dans un nouveau format standard. Ceci demande un effort majeur, mais heureusement les outils de développement de bases de données ont évolué rapidement ces dernières années.

Roswell, à mon avis, est une impasse. C'est une erreur tactique majeure que de baser l'argumentaire en faveur des ovnis uniquement sur 1 cas qui dispose de si peu d'éléments scientifiques et est entouré de tant de témoignages si ambigüs et contradictoires.

Vous avez pris conscience pour la 1ʳᵉ fois d'une possible manipulation gouvernmentale des observations d'ovnis lorsque vous avez découvert le "Memorandum Pentacle" dans les papiers de Allen Hynek en 1967. Dans Ovnis : La Grande Manipulation s1Messengers of Deception, vous avertissiez des dangers de comment des groupes obscurs pouvaient manipuler de grands groupes de personnes pour les amener à croire certaines choses et à propager le message. L'histoire de Paul Bennewitz, parmi d'autres, fut une triste confirmation de votre avertissement. À l'époque moderne, où des rumeurs peuvent se répandre autour du globe en quelques minutes, comment est-il possible de "garder un couvercle" sur les canulars et la mauvaise information ? Il semblerait que le bon est un peu trop facilement empoisonné à l'ère de l'Internet (peut-être une autre validation du conseil que vous aviez reçu dans Ovnis : La Grande Manipulation de laisser les "idiots utiles" à leurs jeux et travailler paisiblement à l'arrière-plan ?).

Ma principale préoccupation, comme tout scientifique travaillant dans le domaine, est d'éviter de perdre du temps sur des cas périphériques et de faux événements. Ce fut ma motivation initiale d'attirer l'attention sur le fait qu'une sérieuse manipulation de la croyance aux ovnis était à l'œuvre. Les militaires pourraient avoir des raisons légitimes d'installer de fausses histoires d'ovnis, par exemple pour protéger le secret de certains prototypes : ce n'est pas mon affaire. Mais cela devient mon affaire lorsque des chercheurs ordinaires sont utilisés comme amplificateurs de fausses rumeurs, comme ce fut le cas dans l'affaire Bennewitz.

Jacques Vallee
Jacques Vallee

Dans les 2 dernières décennies, il y a eu une convergence de multiples voies de recherche, menant à peut-être une expérience commune derrière laquelle se trouveraient des expériences shamaniques, des observations d'ovnis et des "enlèvements extraterrestres" et des Expériences de Mort Imminente n1Near Death Experiences. Des chercheurs comme Ken Ring, John Mack et Rick Strassman sont tous arrivés à des conclusions semblant parallèles à "l'hypothèse Magonie" d'une certaine manière (bien que Mack ait encadré l'idée dans les termes du monde "Imaginal" de Henry Corbin). En considérant que vous et John A. Keel avez été "pionniers" de cette ligne de réflexion dans les années 1960s, trouvez-vous quelque-chose d'intéressant dans ces lignes de recherche plus récentes ?

John Mack a parlé de "Passeport pour le Cosmos" plutôt que de "Passeport pour Magonia :" Il a une difficulté à laisser filer le contexte extraterrestre, mais est devenu de plus en plus conscient du fait que l'interprétation ufologique des signalements d'enlèvements était trop restreinte. Nous avons une longue route à faire dans l'exploration des liens entre les cas ovnis de haute étrangeté et le vécu parapsychologique.

À propos de ces liens – vous étiez membre du comité de conseil scientifique de l'Institut National pour la Science de Découverte lors que l'enquête sur ce qu'on appelle le "Ranch Skinwalker". Le livre récent de George Knapp et Colm KelleherKelleher, Colm sur cette enquête contenait beaucoup d'éléments anecdotiques à propos d'appareils anormaux, d'êtres étranges et de phénomène semblable à des poltergeists. De votre point de vue, pensez-vous que cette enquête a été un succès, et des aspects vous ont-ils intéressé ?

Je suis toujours membre du Comité, aujourd'hui restructuré sous Bigelow Aerospace, donc je me sens lié à l'accord de non-divulgation que j'ai signé.

En considérant la recherche sur ce type de phenomènes, est-il vraiment possible de l'approcher au travers des protocoles stricts de la science ? La science elle-même est devenue si intimement liée à la philosophie physicaliste et au concept de dominance de l'humanité – est-ce une méthode adaptée pour étudier un phénomène qui pourrait être capable de manipuler intelligemment des observations et des résultats (l'élément ‘trickster’ dont on parle souvent dans le paranormal) ? Il me semble que dans tout un nombre de situations – si la conscience peut affecter la réalité (et par conséquent les résultats de tests), si nous nous trouvons au sein d'un environnement virtual à la Matrix, ou comme vous le dites que les ovnis pourraient être une sorte de système de contrôle – alors la méthode scientifique pourrait en fait ne pas être la meilleure manière d'investiguer. Dans Ovnis : La Grande Manipulation, vous discutez de la "collecte de renseignement" comme une méthode peut-être mieux adaptée à ce travail. Quel est votre avis aujourd'hui sur cette question ?

Il y a une distinction à faire entre un monde virtuel comme dans Matrix et ce que j'ai d'abord proposé dans Ovnis : La Grande Manipulation, c'est-à-dire un multi-univers d'information avec des manifestations totalement physiques. Après tout, lorsque je faisait de recherche sur les groupes mystiques de tradition Melchizedekienne, et que j'ai été pris par le seul taxi de Los Angeles qui s'appellait Melchizedek, c'était une véritable voiture et un véritable conducteur ! Pour commencer à comprendre la conscience, nous avons besoin de développer une physique de l'information qui ne repose pas sur la formulation de la physique de l'énergie, qui est limitée par son utilisation des dimensions.

Vous avez personnellement fait des recherches sur un certain nombre des rencontres d'ovnis les plus marquantes au cours des 4 dernières décennies, et avez offert dans divers livres des éléments apparemment solides pour soutenir vos idées. En regardant en arrière aujourd'hui, ces données ont-elles survécu à l'épreuve du temps, et en tirez-vous toujours les mêmes conclusions ?

Lorsque je regarde en arrière sur le travail que j'ai réalisé dans le domaine et les informations actuelles que je reçois d'enquêteurs de mon réseau, il est évident que nous n'avons fait qu'égratiner la surface. Peu importe à quel point vous essayez d'être ouvert, vous approchez toujours le phénomène avec un ensemble donné d'hypothèses, et elles doivent être revues sur la base des données que vous obtenez. Il serait très utile de revenir en arrière aujourd'hui et revisiter certains de ces cas, armés d'un peu plus de connaissances, et de certainement plus d'humilité…

Vous avez aussi laissé votre empreinte sur la scène technologique, à la fois comme programmeur des premiers protocoles de l'Arpanet et au travers d'investissements dans les compagnies technologiques. Le futuriste Ray Kurzweil voit l'approche imminente de "la Singularité", un moment où nous verrons un changement technologique si rapide et profond qu'il représente une rupture dans la fabrication de l'histoire humaine. Vernor Vinge parle de choses semblables, et Arthur C. Clarke a parlé de nous comment passant un seuil de l'évolution biologique à l'évolution technologique. Quels sont vos réflexions personnelles sur notre futur au sujet de la technologie ?

Le fait que nous approchions d'une singularité est de plus en plus soutenu par différents indices. Il y a quelque 30 ans de cela un chercheur français, le professeur Meyer, mit en avant que le mécanisme de retour entre la société humaine et la technologie était une boucle positive, et que cette croissance n'était pas exponentielle, mais hyperbolique. Avec une croissance exponentielle classique, vous pouvez toujours manipuler l'échelle du graphique pour dessiner un phénomène qui se comporte bien, mais il n'y a aucun moyen de manipuler une hyperbole : il part vers l'infini en un point précis. Bien sûr, l'infini n'a pas de signification sociétale ou physique, et donc ce que nous disons vraiment est qu'un changement majeur de l'environnement humain dans son ensemble aura bientôt lieu. Un scénario possible est que l'Homme détruise progressivement son monde, par accident ou délibérément, et que la nature continue, en nous remplaçant par une espèce mieux adaptée au nouvel environnement.

D'ailleurs, je pense qu'il est risible de parler de "sauver la planète !" La Terre continuera quoi que nous fassions, et la nature continuera. Un slogan écologique bien plus puissant serait "sauvons notre peau !" Les gens feraient mieux le lien avec le but spécifique de sauver notre propre espèce. Si une guerre nucléaire totale éclatait, par exemple, l'humanité pourrait s'éteindre, mais la nature n'aurait aucun problème à nous remplacer, après quelques siècles, par une forme de vie plus intelligente. L'évolution technologique va aujourd'hui plus vite que l'évolution naturelle, comme Kurzweil et d'autres l'ont montré, et peut-être qu'une autre forme de vie est donc déjà peut-être en train de se créer à travers nous.

L'astrobiologiste David Grinspoon (dans son livre Lonely Planets) a parlé de la possibilité que des civilisations extraterrestres bien plus âgées que la nôtre pourraient avoir passé cette "singularité", et pourrait avoir accès à des technologies dépassant notre imagination. Est-ce quelque chose qui correspond avec l'hypothèse Magonie, en termes de voyage interdimensionnel ? Votre écriture suggèrerait que non, que les ovnis sont liés d'une manière ou d'une autre à la psyche collective humaine, mais j'aimerais beaucoup entendre votre avis.

Il n'y a pas de contradiction entre les 2. Le concept d'autres dimensions et d'univers parallèles fait partie de la cosmologie établie aujourd'hui. Je viens de recevoir par courrier la dernière copie du New Scientist. La couverture monre 2 personnages grimpant dans une soucoupe volante avec la légende : La vie dans un trou noir – qu'est-ce pour vous ?

Ceci étant dit, je pense que la psyche collective humaine a accès à la conscience cosmique, et je dois supposer que nombre des lecteurs d'un magazine nommé Sub Rosa apprécient un avis semblable !