Les motivations des scientifiques

Kaczynski, Theodore: La société industrielle et son futur, 1995
  1. La science et la technologie constituent les plus importants exemples d'activités compensatrices. Certains scientifiques prétendent qu'ils sont mus par la "curiosité", ce qui est proprement absurde. La plupart des scientifiques sont attelés à des problèmes hautement spécialisés qui ne peuvent être l'objet d'aucune curiosité naturelle. Par exemple est-ce qu'un astronome, un mathématicien ou un entomologiste éprouvent de la curiosité pour les propriétés de l'isopropyltrimethylmethane ? Bien sûr que non. Un chimiste seul peut être intéressé par cela uniquement parce que la chimie est son activité compensatrice. Un chimiste s'intéresse-t-il à la place à donner dans la classification ad hoc à une nouvelle espèce de coléoptère ? Non. Cette question relève uniquement du domaine de l'entomologiste, et il s'y intéresse seulement parce que c'est son activité compensatrice. Si le chimiste et l'entomologiste avaient à se remuer pour satisfaire leurs nécessités vitales, et si cette activité les accaparait de façon intéressante, mais non scientifique, il n'accorderait pas la moindre importance à l'isopropyltrimethylmethane ou à la classification des coléoptères. Supposons que l'absence d'argent pour suivre des études supérieures ait conduit le chimiste à devenir agent d'assurance plutôt que chimiste. Dans ce cas, il serait passionné par tout ce qui touche aux assurances, et se moquerait totalement de l'isopropyltrimethylmethane. Dans tous les cas, il n'est pas normal de dépenser tant de temps et d'efforts pour satisfaire une simple curiosité ainsi que le font les scientifiques. L'explication de la motivation des scientifiques par la "curiosité" ne tient tout simplement pas debout.
  2. Le "bonheur de l'humanité" n'est pas une explication plus satisfaisante. Certains travaux scientifiques n'ont aucun rapport concevable avec le bonheur de l'humanité - par exemple l'archéologie ou la linguistique comparative. D'autres domaines de la science sont potentiellement dangereux. Malgré tout, ceux qui œuvrent dans ces domaines sont aussi enthousiastes que ceux qui s'occupent de combattre les maladies ou la pollution. Considérons le cas du Dr Edward TellerTeller, Edward qui est de toute évidence passionné par la promotion des centrales nucléaires. Est-ce que cet enthousiasme peut être refréné par le désir du bonheur de l'humanité ? Si c'est le cas, pourquoi le Dr TellerTeller, Edward n'est pas préoccupé par les causes "humanitaires" ? S'il était si "humain", pourquoi a-t'il participé au développement de la bombe H ? Comme pour beaucoup de réalisations scientifiques, la question reste ouverte de savoir si les centrales nucléaires sont bénéfiques pour l'humanité. Est-ce que l'électricité à moindre coût vaut les risques d'accidents et l'accumulation des déchets ? Le Dr TellerTeller, Edward ne voit qu'un aspect de la question. Evidemment, son enthousiasme pour les centrales nucléaires ne provient pas d'un désir de faire le "bonheur de l'humanité", mais de la satisfaction personnelle qu'il a tiré de son travail et de son application pratique.
  3. Ceci est vrai pour les scientifiques en général. A de rares exceptions près, leur motivation n'est ni la curiosité, ni le bien de l'humanité, mais le besoin d'exercer leur processus de pouvoir : avoir un but (un problème scientifique à résoudre), fournir un effort (la recherche), et atteindre ce but (la solution du problème). La science est une activité compensatrice, car les scientifiques travaillent principalement pour la satisfaction qu'il retire du travail lui-même.
  4. Bien sur, ce n'est pas aussi simple : d'autres motifs jouent un rôle parmi les scientifiques. L'argent et le statut social par exemple. Certains scientifiques peuvent appartenir à la race de ces gens qui ont un insatiable besoin de reconnaissance sociale (voir paragraphe 79). Et cela en fait leur principale motivation. Nul doute que la majorité des scientifiques, comme l'ensemble de la population, sont plus ou moins réceptifs à la publicité et aux techniques de marketing et ont besoin d'argent pour satisfaire leur soif de biens et de services. Ainsi la science n'est pas une activité compensatrice pure. Mais c'en est une pour une large part.
  5. De plus, la science et la technologie constitue un puissant mouvement de masse et beaucoup de scientifiques satisfont leur besoin de pouvoir par l'identification à ce mouvement de masse (voir paragraphe 83).
  6. Ainsi la science avance en aveugle, indifférente au bonheur des hommes ou à tout autre critère, obéissant seulement aux besoins psychologiques des scientifiques et aux officiels du gouvernement qui leur accordent les subventions.