Quelle est la responsabilité du scientifique ?

Hynek, Josef AllenHynek, Josef Allen, 1966
s1Vallée, J.: Challenge to Science, 1966

Quelle est la responsabilité du scientifique confronté à des observations qui semblent non seulement constituer un défi, mais parfois aussi un affront à la science ? Comment assumer cette responsabilité ? Les phénomènes d'ovnis nous confrontent à un tel problème. Pour la plupart des scientifiques qui ne connaissent pas le sujet, à part à travers une revue de la presse populaire, il s'agit d'un domaine "intouchable". Les soucoupes volantes en effet ! — le produit d'esprits immatures, imaginatifs, voire déséquilibrés, le terrain de jeu du pseudoscientifique et du quasi-mystique, le havre du cinglé.

Est-ce vraiment le cas ? À l'évidence, si l'on doit appliquer les principes scientifiques que nous défendons tous résolument, on doit prendre le temps d'examiner le sujet avec soin — de regarder et d'envisager. Mais le temps est précisément ce qui fait défaut les scientifiques d'aujourd'hui — à certains égards les gens les plus occupés du monde ! Qui peut prendre le temps de patauger dans l'apparent marais de récits, histoires fantaisistes, chimères et balivernes lorsque tant de choses pressantes demandent l'attention immediate du scientifique ?

En tant qu'astronome, je n'aurai probablement jamais approché le sujet si on ne m'avait pas officiellement demandé de le faire. Au cours des 18 dernières années j'ai servi de consultant scientifique à la Force Aérienne sur le sujet des Objets Volants Non Identifiés - les OVNIs. Suite à mon travail sur les fichiers volumineux de la Force Aérienne et, dans une plus grande mesure, à des enquêtes personnelles sur de nombreux cas intriguants et interviews de témoins de bonne réputation, je sais depuis longtemps que le sujet des ovnis ne peut être écarté comme une simple absurdité. L'absurdité existe, pour sûr, comme la méprise d'objets autrement familiers que de nombreuses personnes rapportent comme étant des ovnis. Mais y a-t-il un "signal" dans le "bruit", une aiguille dans la botte de foin ? Notre rôle n'est-il pas précisément d'essayer d'isoler le valide de l'absurde ? En travaillant avec soin les tonnes de pechblende, Madame Curie isola une minuscule quantité de radium — mais la significativité de cette quantité infime secoua le monde.

Ma conclusion (parlant maintenant personnellement et non en position officielle) après de nombreuses années de travail sur des "tonnes" de rapports, est qu'il existe un signal, qu'il y a du "radium" dans la "pechblende", attendant d'être extrait. Les auteurs de ce livre sont arrivés à la même conclusion, par un chemin quelque peu différent. Que le scientifiquement valide dans le phénomène ovni se révèle être un signal physique ou psychologique — ou même un phénomène jusqu'ici inconnu — est à tous points de vue un défi pour la science.

Peut-être aurais-je dû parler plus tôt ; 18 ans est une longue période. Mais il faut plus d'éléments pour faire accepter une idée dans un domaine révolutionnaire, qu'il s'agisse de l'évolution biologique, de la relativité ou de la mécanique quantique, qu'il n'en est besoin pour simplement avancer d'un nouveau pas dans un domaine scientifique accepté. De plus, les astronomes font partie des scientifiques les plus conservateurs. Peut-être est-ce parce que leur échelle de temps est si grande qu'ils attendent naturellement le bon moment pour proposer ou accepter des idées révolutionnaires, en particulier si ces idées sont sujettes à un traitement sensationnel dans la presse et dans les esprits des gens.

Néanmoins, j'ai été depuis pu réprimandé, dans ma correspondance avec des gens dont je respecte l'integrité, accusé de n'avoir pas réussi à porter l'importance des données de la Force Aérienne sur les ovnis à l'attention de mes pairs. If any defense is needed, au regard de la nature controversée et explosive du sujet, it is that I did indeed on many occasions call guarded attention sur la masse constamment croissante de signalements faits par des personnes intelligentes de nombreux pays. Dès 1952, devant la Société Optique d'Amérique, j'ai souligné la nature significative de certains types de signalements d'ovnis s2article publié dans le Journal of the Optical Society of America, avril 1953. Par-dessus tout cela, reste le fait que durant des années j'ai personnellement consacré une portion de mon temps à ce sujet, une action qui serait impensable si je n'avais pas pensé qu'il méritait un examen. Je suis conscient depuis longtemps que le phénomène ovni est quelque chose de global et qu'il a capturé l'attention de nombreuses personnes rationnelles. De nombreux scientifiques m'ont parlé en privé de leur intérêt et de leur volonté d'examiner le problème de plus près.

Egalement, en tant que consultant scientifique pour la Force Aérienne des E.U., je porte une responsabilité unique : toute déclaration que je fais sur l'importance du phénomène ovni, à moins d'être étayée par des éléments évidents, porte le danger de "mobiliser la crédulité du monde", comme un de mes collègues d'université le dit si justement. Je reconnais que cette responsabilité d'accepter l'invitation des auteurs à écrire la Préface de ce livre. Ce fut seulement mon respect pour les auteurs en tant qu'enquêteurs sérieux et la masse continue et croissante de signalements d'ovnis inexpliqués qui m'incita à accepter. J'ai au cours des années acquis une certaine réputation de "démonteur" de signalements d'ovnis. Si cela est venu de mon désir honnête de trouver une explication rationnelle aux stimuli ayant donné lieu eux signalements, une procédure très souvent couronnée de succès, alors je dois assumer cette réputation. Si cela émane, cependant, d'une idée que j'adopterais délibérément une approche Procrustéenne, coupant ou étirant les éléments pour les faire rentrer dans un moule, délibérément pour "donner une explication" aux signalements d'ovnis à tout prix, alors il s'agit d'une accusation particulièrement injustifiée.

Etant associé depuis presque 2 ans à des enquêtes sur les signalements, je n'ai toujours pas écrit un livre sur le sujet, principalement parce qu'il n'y a pas d'élément physique pour étayer le phénomène. Si je devais écrire un tel livre aujourd'hui, cependant, j'adopterais probablement beaucoup de l'approche suivie par les auteurs présents. Les Vallées présentent une quantité formidable d'éléments de la nature globale du phénomène ovni, mais malgré cela ils n'arrivent pas à une conclusion ferme. Comme ils le disent : Nous devons réaliser que les observations que nous avons examinées (...) n'ont pas de valeur en elles-mêmes. Elles sont importantes et méritent une étude seulement parce que cahcune est une illustration d'un phénomène qui s'est manifesté depuis mai 1946, dans chaque pays du monde. À côté du fait que les signalements ont des similarités frappantes l'une avec l'autre elles continuent d'être faites par des gens de bonne réputation, ce qui rend impératif qu'une investigation scientifique soit entreprise. En raison de la nature globale du phénomène total, cette investigation pourrait bien être menée sous les auspices des Nations Unies. Les implications psychologiques du phénomène ovni sur les affaires du monde justifient certainement son étude. La vérité physique sur la question, en l'occurence, ne fait pas de différence ; c'est l'impact qu'elle a sur les esprits des gens dans de nombreuses nations qui la rend potentiellement importante dans l'équilibre psychosociologique du monde.

Ma propre intérêt, en tant qu'astronome, pour le phénomène total est, bien sûr, purement scientifique. Certains lecteurs pourraient être nombreux à se demander si ce sujet apparemment flamboyant peut être soumis à l'examen scientifique. Qu'est-ce qui constitue un élément scientifique dans ce domaine ? Les auteurs présentent un argument convainquant qui est que le phénomène ovni peut être étudié avec les méthodes avancées de recherche du physicien, du sociologue et du psychologue. Dans toutes ces méthodes l'ordinateur figure en bonne place.

La recherche scientifique devient possible lorsque le phénomène étudié montre des schémas et des régularités, lorsqu'il est sujet à classification. Les auteurs ont montré qu'un système de classement (le début de nombreuses branches de la science) des phénomènes ovni est possible et, en fait, que chaque type qu'ils ont identifié montre un schéma de fréquence diurne différent. En particulier, leur catalogue de 500 cas devrait intéresser les scientifiques. Je ne peux aider à faire un parallèle avec les premiers catalogues de sources radio célestes : la grande majorité des entrées n'étaient pas identifiées de manière optique ; seules des méthodes d'analyse et d'observation plus avancées révélèrent que certaines d'entre elles étaient des galaxies radio distantes et que certaines étaient la nouvelle énigme frappante, des sources quasi-stellaires n1NDT: De quasars, de quasi-stellar. Le catalogue présent of cas d'ovnis consiste, à peu d'exceptions, en des éléments non identifiés ; on se demande si le parallèle avec le catalogue de sources radio continue.

Certainement aucune progression ne peut être faite sans étude scientifique. Malheureusement, comme les auteurs le soulignent, les scientifiques, drappés dans leur dignité, ont souvent refusé d'étudier les rapports. Le fait de la question que nombre de mes collègues s'étant dé-drapés de leur dignité assez longtemps pour jeter un œil sérieux sur les rapports ont rejoint les rangs croissants des scientifiques intrigués : ils indiquent en privé un intérêt sérieux pour le phénomène, mais publiquement choisissen, comme le sujet lui-même, de rester non identifiés ; ils ne souhaitent pas s'exposer à la raillerie et les plaisanteries qui y sont associés. C'est pour eux en particulier, et pour tous ceux qui favorisent le véritable esprit Galiléen, que ce livre sera le plus précieux. Ils tâtonnent et cherchent, examinant même les idées qui semblent fantaisistes et étranges, parce qu'ils savent à quel point aurait paru étranges et fantaisistes le terme énergie nucléaire pour un physicien il y a un siècle de cela. Ils sont prêts à accepter un nouveau défi pour la science.

J. Allen Hynek,
Dearborn Observatory, Northwestern University, Evanston, Ill.